VIII. (Ib. VII.)
Sur le châtiment infligé au peuple, à cause de l'avarice d'Achar. — Achar, de la tribu de Juda, ayant, contrairement à la défense du Seigneur; dérobé quelque chose de l'anathème parmi les dépouilles de Jéricho, Dieu permit, en punition de son péché, que trois mille hommes envoyés contre Gaï tournassent le dos à l'ennemi et que trente-six des leurs fussent tués . La terreur s'étant alors répandue parmi le peuple, Josué se prosterna devant le Seigneur avec les anciens, et il lui fut répondu que cette défaite était une punition des péchés du peuple ; Dieu les menaça aussi de ne plus être avec eux à l'avenir, s'ils ne faisaient disparaître l'anathème du milieu d'eux ; enfin le coupable fut découvert et ne fut pas seul mis à mort, mais encore tous les siens avec lui. — On demande ordinairement ici comment il peut être conforme à la justice, que le châtiment dû aux fautes d'un homme, s'étende à d'autres hommes, surtout quand on se rappelle ce que le Seigneur déclare dans la Loi : « Que les parents ne seront point punis pour les péchés des enfants, ni les enfants pour les péchés des parents 1. » Ce précepte qui défend de punir quelqu'un pour un autre, ne concernerait-il pas exclusivement les juges de la terre ; et Dieu, quand il juge, ne suivrait-il pas une autre Loi, Lui qui, dans ses desseins profonds et impénétrables, sait jusqu'où doit aller la punition des hommes en ce monde, et la terreur salutaire qu'il doit leur inspirer ? En ce qui concerne le. gouvernement du monde, la mort est-elle, en effet, un châtiment si cruel pour des créatures qui y sont destinées ? Et cependant, pour ceux qui la craignent, elle est la sanction de la Loi ; elle apprend aux hommes qu'ils ne doivent pas se considérer comme des êtres isolés au milieu de leur peuple, mais avoir, soin les uns des autres et comme les membres d'un même corps et d'un même homme, être pleins d'une sollicitude mutuelle. Il ne faut pourtant pas appliquer cette réflexion aux peines de l'autre vie, et croire qu'un homme peut être damné pour un autre : la punition infligée dans ce cas ne peut que mettre fin d'une manière différente à un bien qui aurait dû toujours finir. On voit aussi par là quelle solidarité étroite unit tout un peuple, oit chacun doit se regarder, non pas isolément, mais comme la partie d'un tout. A la suite de cette mort infligée à plusieurs, en punition du péché d'un seul, le peuple fut donc averti de rechercher la faute commise, pour ainsi dire, par le corps tout entier. Il lui fut également donné à entendre quel grand malheur ce serait pour la société, si elle se rendait coupable en masse, puisque le châtiment mérité par un seul coupable ne put mettre à l'abri tous les autres.
Mais, dira-t-on, si Achar, surpris par tin autre dans la perpétration de son crime, avait été déféré au tribunal de Josué, il est hors de doute que le juge n'eût pas puni, pour lui ou avec lui, quiconque n'aurait pas été son complice. Car il ne pouvait, lui, homme autorisé à juger un autre homme, dépasser les termes de la loi donnée aux . hommes, et condamner arbitrairement quelqu'un pour un autre. Mais la justice de Dieu est beaucoup plus profonde, et, même au-delà de la mort, il peut faire ce qui est impossible à l'homme, c'est-à-dire, délivrer ou perdre à jamais. Donc, lors même qu'il châtie quelqu'un à cause des péchés des autres, Dieu connaît, dans le secret de sa providence, en quelle juste mesure et à qui il envoie les afflictions visibles ou la mort, parce que ces peines peuvent être ou utiles ou nuisibles aux hommes. Mais les châtiments invisibles, qui ne peuvent être que nuisibles et jamais profitables, personne n'est condamné par Dieu à les subir pour les péchés des autres, de même que nul ne doit être condamné par son semblable à souffrir des peines visibles, si ce n'est en punition de ses propres fautes. Car Dieu veut que les juges de la terre suivent, dans les châtiments qu'ils ont le droit d'infliger, la loi qu'il suit lui-même, quand il exercé son sublime et incommunicable pouvoir de juger.
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Deut. XXIV, 16. ↩