62.
On pourrait s'étonner de ces paroles: « Car d'après le jugement selon lequel vous aurez jugé,vous serez jugés, et selon la mesure avec la quelle vous aurez mesuré, mesure vous sera faite, » Quoi ! si nous avons jugé témérairement, Dieu nous jugera-t-il aussi témérairement ? Ou si nous avons mesuré avec une mesure injuste, Dieu aura-t-il aussi une injuste mesure pour nous mesurer ? Car, sans doute, ici mesure signifie jugement. Non : Dieu ne juge jamais témérairement, et n'a de mesure injuste pour personne; mais ce langage veut dire que la témérité avec laquelle vous jugez le prochain est nécessairement matière de punition pour vous. A moins qu'on ne s'imagine que l'injustice nuit à celui à qui elle s'adresse et non à celui de qui elle procède ; tout au contraire, bien souvent elle ne fait point de mal au premier, et nécessairement elle nuit au second. Quel mal a fait aux martyrs l'injustice de leurs persécuteurs ? Et elle en a fait beaucoup aux persécuteurs eux-mêmes. Car, bien que quelques-uns d'entre eux se soient convertis, néanmoins leur malice les aveuglait, alors qu'ils étaient persécuteurs. De même le jugement téméraire ne nuit ordinairement pas à celui sur qui on le porte ; mais il faut absolument qu'il nuise à celui qui le porte. C'est, je pense, d'après cette règle qu'il a été dit : « Quiconque frappera de l'épée, périra par l’épée 1. » Car combien frappent de l'épée, et ne périssent point par l'épée, non plus que Pierre lui-même ? Mais qu'on ne s'imagine pas que ce soit à cause de la rémission de ses péchés que l'Apôtre a échappé à cette punition. Et d'abord ne serait-il pas par trop absurde de regarder comme plus terrible la mort par l'épée, qui n'arrive pas à Pierre, que la mort parla croix qu'on lui fait subir ? Et alors que dira-t-on des larrons crucifiés avec le Seigneur, dont l'un mérita son pardon, après avoir été crucifié 2, tandis que l'autre ne le mérita pas? Ces deux larrons avaient-ils crucifié tous ceux qu'ils avaient tués, et mérité par là de subir eux-mêmes ce supplice ? Il serait ridicule de le penser. Que signifient donc ces paroles : « Quiconque frappera de l'épée, périra par l'épée, » sinon qu'un péché quelconque donne la mort à l'âme ?