XXXVIII.
Le mauvais riche 1. — Il y avait un homme riche, qui était vêtu de pourpre et de lin, et se traitait magnifiquement tous les «jours, » etc. Sous le rapport allégorique, on peut voir dans ce riche, les esprits superbes du peuple Juif, ignorant, la justice de Dieu et cherchant à établir la leur 2. La pourpre et le lin marquent la dignité royale: « Et le royaume de Dieu vous sera ôté, dit le Sauveur, et il sera donné à un peuple qui accomplira la justice 3. » Le festin splendide marque la confiance excessive des Juifs dans la Loi, dont ils se prévalaient avec l'ostentation de l'orgueil , plutôt que de la mettre en pratique pour arriver au salut. Le pauvre, nommé Lazare, c'est-à-dire, celui à qui l'on vient en aide, signifie celui qui est dans le besoin, le gentil on le publicain par exemple, qui reçoit d'autant plus de secours qu'il présume moins de la puissance de ses ressources. Tels étaient les deux hommes qui priaient dans le temple, l'un publicain, ét l'autre pharisien. Le riche, plein en quelque sorte de sa propre justice, loin de pouvoir être mis au nombre de ces heureux qui ont faim et soif de la justice 4, s'écrie donc : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme ce publicain. » Le pauvre, de son côté, désirant être secouru, s'écrie : « Ayez pitié de moi, qui suis un pécheur 5. » Etendu à la porte du riche, il va cependant jusqu'à désirer de se rassasier des miettes qui tombaient de sa table. Car le riche ne l'admettait pas au festin, dont il faisait un abus condamnable, et ne lui en faisait point part: ainsi le Scribe, qui possédait les clefs du royaume des cieux, n'y entrait pas lui-même, et ne permettait pas aux autres d'y entrer 6. Les miettes qui tombent de la table du riche, sont certaines paroles de la Loi, que les Juifs superbes laissaient, pour ainsi dire, tomber à terre, lorsqu'ils parlaient au peuple avec orgueil. Les ulcères figurent la confession des péchés, pareils à ces humeurs malignes qui, du fond des entrailles, s'échappent au-dehors. Les chiens qui les léchaient, sont les hommes profondément pervers attachés aux péchés, qui ne cessent même de louer ouvertement les oeuvres coupables, qu'un autre déplore en son coeur et déteste en en faisant l'aveu. Le sein d'Abraham est le lieu du repos des bienheureux pauvres, à qui appartient le royaume du ciel, où ils sont reçus après cette vie. La sépulture en enfer marque la grandeur,des peines qui dévorent après cette vie les orgueilleux et les hommes au coeur impitoyable. Le Seigneur déclare néanmoins dans ce récit qu'ils voient de loin et qu'ils comprennent ce repos des bienheureux, où jamais ils ne pourront parvenir.
Le rafraîchissement que réclame le mauvais riche pour sa langue, au milieu des flammes qui l'embrasent et l'enveloppent de toutes parts, vérifie le sens de ces paroles : « La vie et la mort sont au pouvoir de la langue, 7. » et de celles-ci que l'on confesse de bouche pour être sauvé 8 : » or, le mauvais riche s'y est refusé par orgueil. L'extrémité du doigt signifie les oeuvres de miséricorde même les plus petites, inspirées par l'Esprit-Saint pour venir en aide à nos frères. Et quand Abraham lui dit : « Tu as reçu le bien dans ta vie, » ce reproche lui rappelle qu'il s'est attaché à la félicité du siècle, et qu'il n'a pas aimé d'autre vie que celle où il s'enflait d'orgueil. Quant à Lazare, il est dit qu'il a reçu les maux, parce qu'il a compris que la mort, la douleur, les travaux et les peines de cette vie sont le châtiment du péché, suivant ce qui est écrit : « Et nous aussi, nous étions enfants de colère, ainsi que les autres 9, » et encore : que l'enfant, celui dont la vie n'a été que d'un jour sur la terre, n'est pas même exempt de péché 10, parce que nous mourons tous en Adam 11, qui, en se faisant transgresseur, a mérité la mort.
Il est dit que les justes ne pourraient, lors même qu'ils en auraient la volonté, passer aux lieux où sont tourmentés les impies. Qu'est-ce à dire, sinon qu'en vertu de la sentence immuable de Dieu, les justes ne peuvent, lors même qu'ils le voudraient, exercer en aucune manière la miséricorde à l'égard de ceux qui après cette vie sont jetés dans la prison, pour ne plus en sortir tant qu'ils n'auront pas payé jusqu'à la dernière obole 12 ? Leçon donnée aux hommes, pour qu'ils viennent en aide pendant leur vie à ceux qu'ils peuvent secourir, de peur que, dans la suite, lussent-ils parfaitement reçus, ils ne puissent plus rien pour ceux qui sont l'objet de leur affection. Ce passage de l'Evangile : « Pour qu'ils vous reçoivent eux-mêmes dans les tabernacles éternels 13, » ne peut s'appliquer aux hommes superbes et sans entrailles, semblables à ce mauvais riche, et indignes d'être reçus par les saints dans le séjour bienheureux; mais il regarde ceux qui se sont faits des amis par les oeuvres admirables de leur charité . Ce n'est pas cependant que les justes les reçoivent, en quelque sorte de leur propre chef, et pour ainsi dire en leur faisant eux-mêmes grâce; mais c'est en vertu de la promesse ét par la permission de Celui qui leur a inspiré de s'en faire des amis, et qui, dans sa bonté libératrice, a bien voulu être nourri, vêtu, reçu et visité dans chacun des plus petits parmi les siens. Maintenant, que cette. réception s'opère aussitôt après cette vie, ou à la fin des siècles, à la résurrection des morts et au jugement dernier, ce n'est pas là une petite question. Mais à quelque moment- qu'elle ait lieu, il est certain que nulle part l'Ecriture ne la promet à ceux qui sont les imitateurs du mauvais riche .
Les cinq frères qu'il dit avoir dans la maison de son père, représentent les Juifs, retenus sous la Loi donnée par Moïse, l'auteur du Pentateuque. Il demande que Lazare soit envoyé vers ses frères, car il se reconnaît indigne de rendre témoignage à la vérité; et comme il n avait obtenu aucun rafraîchissement, il croit d'autant moins à la possibilité d'être délivré de l'enfer, pour aller annoncer cette même vérité. Ces paroles d'Abraham:
S'ils veulent croire, ils ont Moïse et les Prophètes, » n'établissent pas la supériorité de ces derniers sur l'Évangile; mais comme l'Évangile, suivant la réflexion de l'Apôtre, est attesté par la Loi et les Prophètes 14, cela veut dire que la croyance à ceux-ci peut conduire à l'Évangile, selon ces mots de Notre-Seigneur lui-même en un autre endroit : « Si vous croyiez Moïse, « vous me croiriez aussi : car c'est de moi qu'il a écrit 15. » Ce que dit ensuite Abraham, trouve ici naturellement sa place : « S'ils n'écoutent ni Moïse ni les Prophètes, ils ne croiront pas non plus, quand même un mort ressusciterait. » Moïse et les Prophètes ayant annoncé Celui qui est ressuscité d'entre les morts, s'ils ne les croient pas sur ce point, ils ne veulent pas non plus certainement croire en Jésus-Christ. Beaucoup, moins encore peuvent-ils croire à la résurrection d'un mort quelconque, puisqu'ils ne croient pas Celui dont Moïse et les Prophètes, à qu'ils refusent de croire, ont annoncé la résurrection.
Cette parabole peut encore recevoir une autre interprétation. Lazare étendu à la porte de ce riche représente Notre-Seigneur, qui, dans les abaissements de son incarnation, s'est incliné jusqu'à l'oreille des Juifs si profondément imbus d'orgueil . « Souhaitant se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, » c'est-à-dire cherchant en eux jusqu'aux moindres oeuvres de justice dont leur orgueil n'eût pas corrompu le mérite à ses yeux, quand même ces oeuvres de miséricorde et d'humilité eussent été de très-peu de valeur, sans esprit de suite et sans cette persévérance qui constitue la vie régulière, pourvu du moins qu'elles eûssent été accomplies de temps à autre ou par hasard, semblables en cela aux miettes qui tombent de la table. Les ulcères signifient les douleurs que le Seigneur a daigné endurer pour nous dans l'infirmité de la chair. Les chiens qui léchaient ces ulcères, sont les Gentils, que les Juifs considéraient comme des pécheurs et des hommes impurs; et cependant, aujourd'hui par toute la; terre, ils goûtent et savourent avec amour les souffrances du Sauveur dans les mystères de son corps et de son sang. Le sein d'Abraham figure le secret du Père, où il est monté après sa résurrection ; il est dit qu’il y a été porté par les Anges, ce qui a trait sans doute à l'annonce de l'Ascension du Sauveur faite aux disciples par les Anges. En effet, qu'ont-ils voulu dire par ces mots : « Pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel 16 ? » si ce n'est que l'oeil de l'homme ne peut nullement pénétrer jusqu'à ce secret où montait le Seigneur, quand il s'élevait au ciel en présence de ses disciples ? Le reste peut s'entendre dans le sens exposé précédemment : car le secret du Père s'entend très-bien aussi du lieu où les âmes des justes vivent avec Dieu, en attendant la résurrection. Il est d'autant plus vrai que Dieu est partout, qu'il n'est contenu en aucun lieu, suivant ces paroles adressées au larron Tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis 17; » d'où le Fils de Dieu n'est jamais sorti, quoique dans cette chair qu'il a prise, il ait tant souffert de la part des hommes dans la ville de Jérusalem.