X.
J'entends nos adversaires en appeler au témoignage de l'Apôtre. Pour saisir plus facilement le sens de ces paroles, il faut établir d'avance solidement que la femme n'en est que plus enchaînée à son mari quand, il est mort, loin de pouvoir prendre un autre époux. Rappelons-nous, en effet, que le divorce a lieu par la discorde ou établit la discorde, tandis que la mort arrive par une, loi de Dieu, non par les ressentiments de l'homme; qu'elle est une dette qu'il nous faut tous payer, les maris comme les autres. Si donc la femme répudiée qui a été séparée de corps,et d'âme par la discorde, la colère, la haine, ou ce qui les motive, c'est-à-dire par les outrages, les mauvais traitements, ou toute espèce de sujet de plaintes, est enchaînée à son ennemi; car je ne veux pas l'appeler son époux; à plus forte raison la femme, qui a été moins séparée du lien conjugal qu'abandonnée par lui, sans qu'il y ail de sa faute, sans qu'il y ait de la faute de son mari, seulement par une conséquence de la loi divine, demeurera-t-elle l'épouse du défunt auquel elle doit la concorde, tout mort qu'il est. Elle n'a entendu de sa bouche aucune parole de répudiation, donc-elle ne l'a point quitté; elle ne lui a signé aucun acte de divorce, donc elle demeure avec lui; elle n'aurait pas voulu le perdre, donc elle le garde. Elle a pour elle la latitude du souvenir: tout ce qui lui manque de son époux, elle le rend présent à l'œil de l'imagination.
Enfin, j'interroge la femme elle-même. Dites-moi, ma sœur, avez-vous envoyé en paix votre mari devant vous? Que répondra-t-elle? Au milieu des dissentiments de la discorde? Mais la voilà plus étroitement enchaînée: encore à celui avec qui il lui faudra plaider sa cause devant Dieu. Point de séparation là ou les liens subsistent. Nous nous sommes quittés dans la paix, dira-t-elle. Eh bien! qu'elle continue à garder la paix avec celui qu'elle ne pourra plus répudier, n'ayant pas même la permission de se remarier, quand elle pourrait le répudier. En effet, elle prie pour le repos de son âme; elle demande pour lui le rafraîchissement; elle conjure Dieu de la réunir à lui au jour de la résurrection, et chaque année elle célèbre l'anniversaire de sa mort par l'oblation du sacrifice. Si elle manque à ces pieux devoirs, elle a véritablement répudié son époux, autant qu'il est en elle, et cela avec d'autant plus d'injustice que, ne pouvant pas le répudier, elle l'a fait de la seule manière qu'elle a pu; et cela avec d'autant plus d'indignité, que son époux ne le méritait pas. Ou bien, soutiendra-t-on que nous ne sommes rien après la mort? Mais c'est là une maxime de quelque Epicure, et non de Jésus-Christ. Que si nous croyons à la résurrection des morts, nous continuons donc d'être liés à ceux avec lesquels nous ressusciterons, puisque nous rendrons compte de notre administration commune.
On me dira peut-être que, «dans le siècle à venir, les hommes n'épouseront pas de femmes, ni les femmes de maris, mais qu'ils seront comme les anges.» D'accord; mais de ce que le mariage ne sera point rétabli, il ne s'ensuit pas que nous ne soyons pas liés à nos époux qui ne sont plus. Loin de là, nous leur demeurons liés d'autant plus étroitement que, destinés à un état meilleur, nous ressusciterons pour former une alliance spirituelle, et nous reconnaître nous aussi bien que les nôtres.
D'ailleurs, comment chanterions-nous dans l'éternité l'hymne de la reconnaissance envers Dieu, si nous ne gardions en nous-mêmes le sentiment et le souvenir de ce devoir; si nous ne reprenions, en ressuscitant, que la substance sans la conscience? Conséquemment, nous qui serons avec Dieu, nous serons ensemble, parce que, «malgré la différence des récompenses, malgré le grand nombre des tabernacles qui sont dans le royaume du Père, nous avons tous travaillé devant le même Dieu pour le denier du même salaire,» c'est-à-dire pour le denier de la vie éternelle dans laquelle Dieu ne séparera pas plus ceux qu'il a unis, que dans cette vie d'un jour où il interdit la séparation. Puisqu'il en est ainsi, comment une femme appartiendra-t-elle à un autre époux, elle qui appartient déjà au sien pour toute l'éternité? Nous nous adressons ici aux deux sexes, quoique nous ne parlions qu'à un seul, puisque la discipline est la même pour tous les deux. Aura-t-elle un époux selon l'esprit et un époux selon la chair? Mais la conscience d'une seule femme partagée entre deux hommes constituera un véritable adultère. Le premier, pour être éloigné de la chair, n'en réside pas moins dans le cœur, là même où la pensée, sans avoir besoin du ministère de la chair, consomme l'adultère par la concupiscence, et le mariage par la volonté. Il est mari jusqu'à ce jour, tant qu'il possède ce par quoi il l'est devenu, c'est-à-dire la volonté, dans laquelle un autre ne peut habiter sans crime. D'ailleurs, il n'est pas banni parce qu'il a quitté les viles relations de la chair. Loin de là! en devenant plus pur, il est devenu un mari plus digne de respect.