XI.
Ainsi donc, toi qui dois «te marier en notre Seigneur,» ainsi que le prescrivent la loi et l'Apôtre, si toutefois tu en as quelque souci, qui es-tu, lorsque tu viens demander un pareil mariage à des hommes auxquels il n'est pas permis de l'avoir, à l'évêque qui doit n'avoir été marié qu'une fois; à des prêtres et à des diacres soumis à la même obligation; à des veuves dont tu as répudié la discipline dans ta personne? Mais, en vérité, c'est livrer les maris aux épouses, et les épouses aux maris, autant de fois que le pain eucharistique. Voilà comme ils entendent chez eux cette recommandation: «Donne à quiconque te demande.» Et ils vous uniront tous les deux dans l'Eglise qui est vierge, qui est l'unique épouse d'un seul Jésus-Christ. Et tu prieras pour tes maris, l'ancien et le nouveau. Choisis envers lequel des deux tu veux être adultère. Envers l'un et l'autre, j'imagine. Si tu es sage, ne prononce pas le nom de ton époux: que ton silence, écrit dans un contrat étranger, lui serve d'acte de répudiation. Tu mériteras mieux les attentions de ton nouveau mari en oubliant l'ancien. Tu dois n'en plaire que davantage à celui pour lequel tu n'as pas voulu plaire à Dieu. Voilà ce quel'Apôtre approuva, ou ce qu'il avait complètement oublié, selon les Psychiques, lorsqu'il écrivait: «La femme est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant; mais si son mari meurt, elle est libre, qu'elle se marie. à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur.». En effet, ils s'appuient sur ce passage pour justifier le second mariage, et même tous ceux qui pourraient suivre le second; car tout ce qui dépasse l'unité peut se répéter indéfiniment.
Mais dans quel sens l'Apôtre a-t-il écrit ces mots? Cela deviendra clair, aussitôt qu'il sera prouvé qu'il ne les a point écrits dans le sens dont abusent les Psychiques. Or, les doutes seront dissipés, si l'on réfléchit à tout ce qui est ici en désaccord dans la doctrine, dans la volonté et dans la discipline personnelle de Paul lui-même. Si, en effet, il permet les secondes noces, qui n'existèrent pas dès le commencement, comment affirme-t-il que «toutes choses sont rappelées à l'état originaire dans Jésus-Christ?» S'il veut que nous réitérions les mariages, comment nous fait-il descendre d'Isaac qui n'a été marié qu'une fois? Comment établit-il tous les degrés de l'Eglise sur la monogamie, si cette discipline ne commence pas par les laïques dont s'enrichissent les rangs de l'Eglise? Comment détourne-t-il des fruits du mariage ceux qui sont encore engagés dans le mariage, en les avertissant «que le temps est court,» s'il rappelle dans les liens du mariage ceux dont le mariage est brisé par la mort? Si toutes ces propositions se combattent dans le chapitre dont il s'agit, il sera constaté, comme nous l'avons dit, que l'Apôtre n'a point écrit dans le sens dont abusent les Psychiques. N'est-il pas plus raisonnable de dire que ce passage unique a quelque motif en harmonie avec l'ensemble, que de s'imaginer que l'Apôtre ait pu enseigner une doctrine si contradictoire? Ce but, nous pourrons le découvrir dans la circonstance elle-même. A quelle occasion l'Apôtre écrivait-il ce passage? Il s'adressait à une Eglise novice encore, ou, pour mieux dire, qui ne faisait que de naître, et qu'il nourrissait de lait, parce qu'elle ne pouvait supporter un aliment plus vigoureux. Cela est si vrai que, grâce à leur enfance dans la foi, ils ignoraient encore quelle règle ils devaient suivre dans les nécessités de la chair et du sexe. Nous pouvons nous en convaincre par la réponse qu'il leur donne: «Quant aux choses que vous m'avez écrites, je vous dirai qu'il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme; mais, pour éviter la fornication, que chaque homme vive avec sa femme.»
Il nous montre par là qu'il s'en trouvait qui, surpris dans le mariage par la foi chrétienne, craignaient qu'il ne leur fût plus permis désormais d'user de leur mariage, depuis qu'ils avaient cru en la chair sans tache de Jésus-Christ. Au reste, «ce qu'il leur dit, c'est par condescendance, et non par commandement;» c'est-à-dire qu'il donne un conseil et non un ordre, car «il aurait voulu que tous fussent dans l'état ou il était lui-même.»
Lorsqu'il répond sur l'article du divorce, il nous montre que telle était l'opinion de quelques-uns, surtout de ceux qui, après avoir embrassé la foi, ne croyaient pas devoir continuer de vivre dans des mariages païens. Ils le consultaient encore sur la virginité. Ici l'Apôtre n'avait point reçu de commandement du Seigneur. «Il est bon à l'homme', répondait-il, de persévérer dans cet état,» c'est-à-dire dans l'état où la foi l'aura trouvé. «Etes-vous lié avec une femme? ne cherchez point à vous délier. N'avez-vous point de femme? ne cherchez point à vous marier. Au reste, si vous épousez une femme, vous ne péchez pas.» Non, parce que, pour celui qui est délié de son mariage avant la foi, sa seconde épouse, la première depuis la foi, ne lui sera pas comptée, puisque notre vie elle-même ne commence qu'à la foi.
Mais ici «il voudrait les épargner, dit-il. Ces personnes là souffriront dans leur chair des afflictions et des peines, à cause de la dureté des temps,» qui rejettent les fardeaux du mariage; ou plutôt, pour les avertir qu'il valait mieux s'occuper de plaire à Dieu qu'à un mari; c'était reprendre ce qu'il avait permis.
Ainsi encore, dans ce même chapitre où «il déclare à chacun qu'il doit demeurer dans la vocation où il était lorsque Dieu l'a appelé,» ajouter ces mots: «La femme est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant; mais si son mari meurt, elle est libre; qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur;» c'était nous démontrer qu'il entend parler de celle qui a été trouvée déliée d'avec son époux, de même que tout à l'heure de l'époux délié d'avec son épouse, pourvu toutefois que le nœud ait été brisé par la mort, et non par le divorce, parce qu'il ne permettrait pas à une femme répudiée de se remarier contrairement au précepte ancien. Voilà pourquoi, «si la femme se remarie, elle ne pèche point, parce que ce second mari, qui est le premier depuis qu'elle a embrassé la foi, ne lui sera pas compté.» De là vient que l'Apôtre ajouta, «pourvu que ce soit dans le Seigneur.» Il s'agissait d'une femme qui avait eu un mari païen, et avait embrassé la loi, après l'avoir perdu: il l'avertit, de peur qu'elle ne se crût autorisée à épouser encore un païen, même après être devenue Chrétienne, quoique les Psychiques s'inquiètent peu de ce point.
Sachons-le toutefois, l'original grec diffère d'avec les éditions ordinaires par deux syllabes, soit qu'elles aient été altérées à dessein, soit qu'elles l'aient été dans la simplicité du cœur. Si son époux vient à mourir, indique un futur. Dans ce cas, la permission, en s'étendant à l'infini, eût donné un mari autant de fois qu'on en eût perdu, sans garder dans le mariage la réserve qui convient même à des païens. Mais quand même le texte «celle dont le mari viendrait à mourir» désignerait le futur, ce futur ne s'appliquerait qu'à celle dont le mari cesse de vivre avant qu'elle ait embrassé la foi. En un mot, adopte le sens que tu voudras, pourvu que tu ne détruises pas tout le reste. Car, puisque cette parole anéantit celles-ci: «Avez-vous été appelé à la foi étant esclave? que cela ne vous trouble pas.----Un homme est-il appelé à la foi étant circoncis? qu'il n'affecte point de paraître incirconcis;» auxquelles correspondent les suivantes: «Etes-vous lié avec une femme? ne cherchez point à vous délier. ---- N'avez-vous point de femme? ne cherchez point à vous marier;» il est assez manifeste que toutes ces propositions ne s'adressent qu'à des hommes qui, engagés dans une vocation nouvelle, et d'hier pour ainsi dire, consultaient l'Apôtre sur l'état où les avait surpris la foi chrétienne.
Telle sera l'explication de ce chapitre, qu'il faut interroger sous le rapport du temps, du motif, des exemples et des arguments qui précèdent, aussi bien que des déclarations et des sens qui suivent. Mais il faut chercher avant tout s'il se rapporte au but et au dessein que se propose l'Apôtre; car il ne faut rien garder de ce qui met un homme en contradiction avec lui-même.