3.
Le Prophète ajoute encore : « Et vous, hommes de la terre, et enfants des hommes1 ». Cette expression : « Hommes de la terre», s’appliquerait aux pécheurs; et cette autre : « Enfants des hommes », aux fidèles et aux justes. Vous voyez donc revenir cette distinction. Quels sont les hommes de la terre? les fils de la terre. Quels fils de la terre ? Ceux qui recherchent les possessions terrestres. Quels sont les fils des hommes? Ceux qui appartiennent au Fils de l’homme. Déjà nous avons établi devant vous cette distinction, et nous avons vu qu’Adam était homme sans être fils de l’homme; que le Christ était fils de l’homme , et qu’il était Dieu2. Ainsi, tous ceux qui appartiennent à Adam sont hommes de la terre, tous ceux qui sont du Christ sont « fils de l’homme ». Que tous écoutent néanmoins, je ne refuse ma parole à personne. Celui-ci est terrestre, qu’il écoute ma parole, dans la crainte du jugement; celui-là est fils de l’homme, qu’il écoute, afin de régner. « Que le riche et le pauvre s’unissent ». Nouvelle répétition. Cette expression: « Le riche », s’applique aux hommes terrestres; cette autre: «Le pauvre», aux enfants des hommes. Par les riches on doit entendre les orgueilleux; et par les pauvres, les humbles. Qu’un homme possède beaucoup de biens, il est pauvre s’il ne s’en prévaut pas. Qu’il ne possède rien, Dieu le rangera néanmoins parmi les riches, les réprouvés, s’il a le désir ou l’orgueil de la richesse. C’est par le coeur, et non par le palais ou le coffre-fort, que Dieu juge des pauvres ou des riches. Ne sont-ils pas réellement des pauvres, ceux qui accueillent ce précepte de l’Apôtre, disant à Timothée : « Commande aux riches du siècle de n’être point orgueilleux3? » Comment, de ceux qui étaient riches, a-t-il fait des pauvres? Il leur enlève ce qui nous fait rechercher les richesses. Car nul ne désire les richesses que pour s’élever au-dessus de ceux qui l’environnent, et leur paraître supérieur. Leur interdire l’orgueil, c’est donc les rendre semblables à ceux qui n’ont rien ; et peut-être un mendiant est plus orgueilleux de ses quelques pièces de monnaie, que le riche docile à cette recommandation de saint Paul : « Défendez aux riches du siècle de s’enorgueillir ». Comment s’abstenir de l’orgueil? En accomplissant ce qui suit : « De ne pas mettre leur confiance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui nous est nécessaire pour la vie4 ». L’Apôtre ne dit pas : Qui leur donne ; mais bien: « Qui nous donne». Paul n’avait-il donc aucune richesse ? Il en avait assurément. Quelles richesses? Celles dont l’Ecriture a dit à un autre endroit: « Le monde entier est la richesse de l’homme fidèle5 ». Ecoute encore ce qu’il avoue de lui-même : « Nous paraissons ne rien posséder, quoique nous possédions tout6». Quiconque désire la richesse, ne doit donc pas s’attacher à une partie, et il possédera le tout ; mais qu’il s’attache à Celui qui a tout créé. « Que le riche et le pauvre s’unissent ». Il est dit dans un autre psaume : « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés ». Quel avantage fait-il aux pauvres? «Qu’ils mangent et ils seront rassasiés ». Que mangeront-ils? c’est le secret des fidèles. Comment seront-ils rassasiés? En imitant la passion du Seigneur, et en ne laissant pas improductif le prix de leur rançon. « Les pauvres donc mangeront et seront rassasiés, et ils béniront le Seigneur, ceux qui le recherchent7 ». Et les riches ? Ils mangent aussi. Mais comment? « Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré8». Le Prophète ne dit point : ils ont mangé et sont rassasiés; mais bien : «Ils ont mangé et ils ont adoré ». Ils adorent Dieu à la vérité, mais ne veulent pas voir des frères dans les autres hommes. Ceux-ci mangent donc et ils adorent; ceux-là mangent et sont rassasiés; et tous mangent néanmoins. A celui qui mange on demandera compte de sa nourriture ; que le dispensateur de cette nourriture n’en éloigne personne, mais qu’il avertisse de redouter le compte à rendre. Que tous donc prêtent l’oreille à ces paroles, pécheurs et justes, peuples et habitants de la terre. « Et les habitants de la terre, et les enfants des hommes, et le riche et le pauvre ensemble », unis et non séparés. C’est le temps de la moisson qui doit séparer, c’est la main du vanneur qui le pourra faire9. Maintenant, que le riche et le pauvre s’unissent pour écouter, que les boucs et les agneaux paissent ensemble, jusqu’à l’avènement de Celui qui doit séparer les uns à sa droite, les autres à sa gauche10. Qu’ils s’unissent pour écouter le maître qui les instruit, de peur qu’ils ne soient séparés pour entendre le Juge qui les condamnera.