9.
« Galaad m’appartient ». Ces noms se trouvent dans les divines Ecritures. Le mot Galaad s’explique aussi dans un sens particulier, et il renferme un grand mystère. Il veut dire : Monceau du témoignage. Quel monceau de témoignages on a vu dans les martyrs ! « Galaad m’appartient ». Je possède le monceau du témoignage : les vrais martyrs sont les miens. Que les autres meurent pour leur vieille vanité, leur mort sera dépourvue de la saveur du sel; pourra-t-on dire alors qu’ils contribuent à grossir le monceau du témoignage? Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, mon sacrifice ne me sert de rien1.Dans un endroit de l’Evangile Jésus-Christ nous recommande de conserver la paix, mais auparavant il exige l’emploi du sel : « Ayez », dit-il, « du sel en vous; ayez la paix entre vous2 ». Donc, « Galaad m’appartient ». Mais Galaad, c’est-à-dire le monceau du témoignage, a été visiblement en butte à de grandes épreuves. En effet, l’Eglise était alors aux yeux du monde un objet de mépris; on faisait à cette veuve un reproche sanglant de ce qu’elle appartenait au Christ et portait au front le signe de la croix. On ne l’honorait pas encore, on l’accusait. En ce moment où les honneurs la fuyaient, où elle se voyait accablée de calomnies, s’éleva le monceau du témoignage, et par lui se répandit l’amour du Christ; alors cet amour divin gagna tous les peuples. Le Prophète ajoute : « Manassé est à moi » . Manassé signifie oublié. Il avait été dit à l’Eglise « Tu oublieras à jamais ta confusion, et tu ne te souviendras plus de l’opprobre de ton veuvage3 ». L’Eglise était donc autrefois plongée dans une confusion qu’elle a depuis oubliée; elle a perdu tout souvenir de la confusion et de l’opprobre où l’avait jetée son veuvage. Quand les hommes la méprisaient, on voyait s’élever en sa faveur un monceau de témoignages. Personne, aujourd’hui, ne se souvient qu’il fut un temps où elle était couverte de confusion, où c’était une honte de porter le nom de chrétien; personne n’en a gardé la mémoire : tous l’ont oublié; et désormais « Manassé est à moi. Et Ephraïm est la force et l’appui de ma tête ». Ephraïm veut dire, production de fruits. J’ai fructifié, dit l’Eglise, et par là j’ai trouvé la force et le soutien de ma tête. Car ma tête, c’est le Christ. Et d’où vient que la production des fruits est le principe de sa force? c’est que si, en tombant dans la terre, le grain ne s’y multipliait pas, il resterait seul. Par sa mort, le Christ est tombé en terre, et par sa résurrection il a ensuite porté des fruits. « Et Ephraïm est la force et l’appui de ma tête ». Pendant qu’il était cloué à la croix, on le considérait avec mépris; intérieurement c’était un grain qui avait la force d’attirer tout à lui4. L’oeil n’aperçoit pas dans le grain de froment l’innombrable quantité de germes qui s’y trouvent renfermés; il y voit seulement je ne sais quels dehors méprisables; et toutefois le grain recèle une force telle qu’il s’assimile la sève de la terre pour en former des fruits. Ainsi apercevait-on l’infirmité de la chair sur la croix du Sauveur, sans y voir la force toute-puissante qu’elle recélait. O l’admirable grain de froment! Sans doute il semblait à tous dépourvu de force pendant qu’il se mourait sur le bois de la croix; le peuple qui l’environnait secouait la tête en passant devant lui et s’écriait: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende donc de sa croix5 ! » Mais vois quelle était sa force: « Ce qui est faible en Dieu est plus fort que tous les hommes6 ». Ce n’est donc pas sans raison qu’il a ensuite produit une si grande quantité de fruits; ces fruits sont à moi, dit l’Eglise.