8.
Les habitants de ces deux villes sont maintenant confondus ensemble; à la fin des temps ils seront séparés: une lutte acharnée règne entre eux tous, car les uns combattent pour l’iniquité et les autres pour la justice; ceux-ci pour la vérité, ceux-là pour la vanité. Par suite de ce mélange temporaire des bons et des méchants, il arrive que des citoyens de Babylone dirigent les affaires de Jérusalem, comme parfois les habitants de Jérusalem ont entre les mains la direction des affaires de Babylone. La preuve de ce que j’avance vous paraît difficile à apporter; la voici néanmoins: Prenez patience; des exemples vous en convaincront. Suivant le langage de l’Apôtre, « tout » ce qui arrivait au peuple juif « était figure: et tout a été écrit pour nous servir d’instruction, à nous qui nous sommes rencontrés à la fin des temps1 ». Portez donc votre attention et vos regards sur ce premier peuple qui a été l’image du peuple suivant, du peuple chrétien , et vous toucherez du doigt la preuve de mes paroles. Il y eut à Jérusalem de mauvais rois, tout le monde le sait: on en connaît le nom et le nombre. Ils étaient donc tous, sans exception , des citoyens de Babylone , et pourtant ils gouvernaient Jérusalem, en dépit de leur méchanceté: ils devaient, plus tard, en être éloignés pour partager le sort des démons. Par contre, nous voyons à la tête de l’administration de Babylone des habitants de la cité de Dieu. Vaincu par le prodige de la fournaise ardente, Nabuchodonosor n’a-t-il point confié le gouvernement de son royaume aux trois jeunes hébreux ? Les satrapes eux-mêmes ne leur étaient-ils pas soumis? En réalité, l’autorité supérieure a donc été exercée à Babylone par des habitants de Jérusalem2. Remarquez-le, mes frères : le même fait se reproduit encore, et de nos jours, dans l’Eglise. En effet, le Sauveur a dit : « Faites ce qu’ils enseignent, mais ne les imitez pas ». Tous ceux auxquels s’appliquent ces paroles, sont des citoyens de Babylone, qui dirigent les affaires de Jérusalem, De fait , s’ils n’étaient en rien chargés de l’administration de cette ville, dirait-on d’eux: « Faites ce qu’ils disent? Ils sont assis sur la chaire de Moïse ». Et, d’autre part, s’ils étaient du nombre des citoyens de Jérusalem, et destinés à régner éternellement dans les cieux avec Jésus-Christ, ajouterait-on: « Ne les imitez pas3? » Non ; puisque cette sentence sera prononcée contre eux: « Retirez-vous de moi, vous tous qui êtes des ouvriers d’iniquité4 ». Vous le voyez donc, les habitants de la cité des méchants se trouvent parfois à même de gérer les affaires de la cité des justes. Assurons-nous maintenant que le rôle rempli par les uns l’est aussi quelquefois par les autres. Tout gouvernement de ce monde doit périr un jour; sa puissance disparaîtra le jour où se manifestera cette puissance royale à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons dans notre prière: « Que votre règne arrive5 », et dont il a été prédit: « Et son règne n’aura pas de fin6 ». Ce gouvernement terrestre a donc à sa tête des citoyens sortis de nos rangs. Que de fidèles, en effet, que de justes, dans les villes qu’ils habitent, remplissent les fonctions de magistrats, de juges, de ducs et de comtes, et sont revêtus de l’autorité royale ! Ils sont tous vertueux et bons; ils ne pensent qu’aux choses admirables que l’on dit de vous, ô bienheureuse cité7! Pour eux, tout ce qu’ils font dans cette passagère Babylone est un embarras et une entrave: le docteur de la Cité de Dieu leur commande de garder la fidélité à leurs supérieurs, soit « au roi, comme ayant une autorité souveraine, soit aux gouverneurs, comme envoyés de sa part pour punir ceux qui font mal, et traiter favorablement ceux qui font bien ». S’ils servent des maîtres, ils doivent leur obéir8 : chrétiens, ils doivent se montrer soumis aux païens; parmi eux l’homme vertueux est obligé de se montrer fidèle même aux méchants, quoique sa sujétion à leur égard soit purement temporaire, et que sa destinée soit de régner éternellement. Ainsi en sera-t-il jusqu’au moment où l’iniquité arrivera à son terme9. Les serviteurs omit donc l’ordre de supporter l’autorité de leurs maîtres, même lorsqu’elle se montre injuste et méchante : il faut que les citoyens de Jérusalem supportent les habitants de Babylone, et leur montrent, si j’ose parler ainsi, plus de déférence que s’ils appartenaient eux-mêmes à la société des pécheurs, car en eux doit s’accomplir cette parole du Sauveur: Si l’on te commande « de marcher l’espace de mille pas, fais-en deux mille10 ». C’est à cette Babylone, répandue eu tous lieux, dispersée jusqu’aux extrémités de la terre, confondue, pour le moment, avec Jérusalem, c’est à elle que s’adressent les paroles du Psalmiste: « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir » . Vous tous qui êtes en dehors comme des épines dans les buissons, comme des arbres stériles dans les forêts, vous qui tenez au dedans la place de l’ivraie ou de la paille; qui que vous soyez, séparés déjà des bons ou mêlés encore avec eux, ou destinés à exercer encore la patience des justes, et à vous en voir un jour forcément éloignés, « faites-les tous mourir; jetez-vous sur moi comme sur un mur qui penche, comme sur une maison qui tombe en ruine. Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ». Ils ne l’ont pas dit; ils se sont contentés de le penser. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ».