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Toutefois, il me vient à l’esprit un autre sens bien préférable, si je ne me trompe, et qui nous fait comprendre par les sorts les héritages eux-mêmes; l’héritage de l’Ancien Testament, bien qu’il soit l’ombre symbolique de l’avenir, serait la félicité de la terre; l’héritage du Nouveau Testament serait le bonheur sans fin, et dormir au milieu des héritages signifierait qu’on ne recherche point celui-là avec ardeur, mais que l’on attend celui-ci avec patience. Ceux en effet qui servent Dieu pour ce motif, ou plutôt qui, pour ce motif ne le servent point, en cherchant dans cette vie et sur cette terre la félicité, voient le sommeil les fuir, ils ne dorment point. Agités par la flamme de leurs convoitises, ils se jettent dans les crimes, dans les forfaits; le désir d’acquérir, la crainte de perdre leur enlèvent le repos. « Mais celui qui m’écoute », a dit la Sagesse, « habitera dans l’espérance; libre de crainte, il s’abstiendra de tout mal1 ». Autant que je puis voir, tel est le sens de dormir au milieu des sorts, c’est-à-dire au milieu des héritages ; c’est habiter l’héritage éternel, non point encore en réalité, mais en espérance, et faire trève avec tout désir de bonheur terrestre. Et quand viendra l’objet de notre espérance, nous ne reposerons plus entre deux héritages, mais nous régnerons dans l’héritage nouveau, l’héritage véritable, dont l’ancien était la figure. Si donc nous entendons ces paroles: « Si vous dormez au milieu des héritages », comme s’il était dit : Si vous mourez au milieu des héritages, comprenant que l‘Ecriture, comme il lui arrive d’ordinaire, appellerait du nom de sommeil, la mort corporelle ; la plus sainte mort qui vient clore les jours de cette vie, est celle de l’homme qui persévère à réprimer en lui les désirs des biens terrestres, et à n’espérer jusqu’à la fin que l’héritage du ciel. Ceux qui dormiront ainsi au milieu des héritages auront des ailes comme ta colombe argentée; parce qu’au jour de la résurrection, ils s’envoleront sus les nuées, à travers les airs, au-devant du Christ, afin de vivre toujours avec le Seigneur ; ou bien parce qu’à l’occasion de ceux qui meurent ainsi, la gloire de l’Eglise éclate et plus haut et plus loin, et s’élève comme sur les ailes de la plus sublime louange. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il est écrit : « Ne louez aucun homme avant sa mort2 ». Donc, tous les saints de Dieu, depuis l’origine du genre humain jusqu’au temps des Apôtres, parce qu’ils ont bien su dire : « Je n’ai point désiré les jours de l’homme, vous le savez3»; et encore: « J’ai fait une prière au Seigneur et je la renouvellerai4 »; et depuis le temps des Apôtres, qui a marqué plus clairement la différence entre les deux Testaments, les Apôtres eux-mêmes, les martyrs et les autres justes, comme les chefs du troupeau avec leur postérité, tous se sont endormis au milieu des héritages, méprisant la félicité du règne terrestre, pour mettre leur espérance dans ce royaume des cieux qu’ils ne tenaient pas encore. Et comme ils ont goûté cet heureux sommeil, voilà qu’ils sont comme les ailes de cette Eglise qui est la colombe argentée, et qu’elle-même s’élève par les louanges qu’on leur donne ainsi la renommée de leur sainteté est pour ceux de l’avenir une invitation à les imiter, et ceux-ci, dormant à leur tour ce même sommeil, deviendront des ailes nouvelles, qui porteront jusqu’aux siècles derniers la sublime renommée de l’Eglise.