31.
« Le Seigneur dit: Je sortirai de Basan1»; ou, comme on lit dans quelques manuscrits : « Je ferai sortir de Basan ». Or, c’est lui qui nous change pour nous sauver, lui dont il est dit : « Il est le Dieu de notre salut, le Dieu qui nous sauve ». C’est à lui que l’on dit ailleurs : « Changez-nous, ô Dieu des vertus, montrez-nous votre face et nous serons sauvés2 » ; et ailleurs encore : « Changez-nous, ô Dieu de notre salut3 ». Je sortirai de Basan, dit le Prophète. Or, Basan signifie confusion. Qu’est-ce donc que sortir de la confusion, sinon rougir de nos fautes et demander à Dieu qu’il nous les pardonne dans sa miséricorde? De là vient que le publicain n’osait lever les yeux au ciel; il était dans la confusion en jetant les yeux sur lui-même; aussi descendit-il justifié4, car le Seigneur a dit : « Je ferai sortir de Basan ». Basan signifie encore sécheresse, et il est bien de comprendre que c’est le Seigneur qui nous délivre de la sécheresse ou de la disette. Tout pauvre, en effet, qui se croit dans l’abondance, qui croit regorger quand il est dans la disette, ne se convertit point. « Bienheureux, en effet, ceux qui omit faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés5». C’est de cette pauvreté que le Seigneur nous délivre; car c’est dans la sécheresse de l’âme qu’on lui a dit : « J’ai levé les mains vers vous, mon âme sans vous est comme une terre sans eau6». Mais on peut dire avec raison, comme on lit dans certains manuscrits : « Je reviendrai de Basan ». Car il se tourne en effet vers nous, celui qui a dit:
« Revenez à moi, et je reviendrai à vous7» mais il n’y revient que quand la confusion remet incessamment sous nos yeux notre péché8, et que quand la sécheresse nous fait soupirer après la rosée de celui qui réserve une pluie fertile à son héritage. Car la sécheresse affaiblit cet héritage, qui est rétabli quand se retourne vers lui celui à qui il est dit : « En vous tournant vers moi, vous m’avez rendu la vie9 ». «Le Seigneur dit: « Je sortirai de Basan, je ferai sortir pour le fond de l’abîme ». Si « je les fais sortir », comment est-ce «pour le fond de l’abîme? » Car c’est pour lui-même que le Seigneur nous fait sortir, ou opère notre conversion, quand il nous convertit d’une manière salutaire, et ce n’est point pour nous jeter dans les abîmes. Peut-être l’expression latine est-elle fautive, et aurait-elle dit le fond de l’abîme au lieu de profondément? Car ce n’est point lui qui se tourne vers nous, mais il fait revenir à lui ceux que le poids de leurs péchés a plongés dans l’abîme de ce siècle; c’est de là que revenait David quand il disait : « Du fond de l’abîme, j’ai crié vers vous, ô mon Dieu10 ». Si l’on ne traduit pas : « Je ferai sortir »; mais, « je sortirai pour les profondeurs de l’abîme », il faut comprendre en ce sens que le Seigneur promet de pénétrer par sa miséricorde les profondeurs de l’abîme, pour en délivrer les pécheurs les plus désespérés. Dans quelques manuscrits grecs, j’ai trouvé non plus, « dans le fond de l’abîme », mais, « dans les profondeurs », en buthois, ce qui confirme notre premier sens, c’est-à-dire que le Seigneur ramène à lui ceux qui l’invoquent du fond des abîmes. Et toutefois, il n’est point contre la vérité d’entendre par là que le Seigneur se tourne vers ces âmes pour les délivrer ; et il les ramène à lui, ou il se tourne pour les délivrer, de manière à teindre son pied dans le sang. C’est ce que dit le Prophète au Seigneur : « De manière que votre pied sera teint de sang11»; c’est-à-dire, que ceux qui se tournent vers vous, ou vers lesquels vous vous tournez pour opérer leur délivrance, fussent-ils au fond de la mer submergés sous le poids de leurs péchés, feront de tels progrès dans la grâce, puisque « cette grâce aura abondé où avait abondé le péché12»; que parmi vos membres, ils deviendront votre pied pour aller prêcher l’Evangile, et que, pour votre nom, endurant un long martyre, ils combattront jusqu’au sang. C’est là, je crois, la meilleure manière de comprendre ce pied teint de sang.