36.
« Là était le jeune Benjamin ravi en extase1». Là était Paul, le dernier des Apôtres, qui dit : « Pour moi, je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamins2»; et tout à fait en extase, alors que le miracle si éclatant de sa vocation tenait les assistants dans la stupeur. Car l’extase est le ravissement de l’esprit : ce qui arrive quelquefois par une crainte excessive; parfois encore, par une révélation, alors que l’esprit abandonne les sens corporels, afin de voir tout ce qui doit lui être démontré. Tel est le sens que l’on pourrait donner à cette expression,en extase; parce qu’à cette parole, adressée du haut du ciel au persécuteur : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter3? » les yeux du corps furent privés de la lumière, et il répondait à Dieu, qu’il voyait des yeux de l’esprit; quant à ceux qui étaient avec lui, ils l’entendaient répondre sans voir à qui il s’adressait. On peut encore dans cette extase entendre celle dont il parle, quand il dit qu’il connaît un homme élevé jusqu’au troisième ciel, sans savoir néanmoins si ce fut avec son corps ou sans son corps; mais qu’enfin il fut ravi au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter4. « Les princes de Juda, les premiers entre tous, les princes de Zabulon, les princes de Nephtali ». Comme il désigne les Apôtres sous le nom de princes, parmi lesquels se trouve « le jeune Benjamin dans son extase5 », paroles que chacun, sans hésitation, applique à saint Paul; ou bien comme sous ce nom de princes, il désigne tous ceux des différentes Eglises qui se distinguent et peuvent servir de modèles, on se demande pourquoi ces noms des tribus d’Israël? S’il n’était fait mention que de Juda, comme c’est dans cette tribu que sont nés les rois, et même Jésus-Christ selon la chaire, nous serions portés à croire que cette tribu nous désigne les princes du Nouveau Testament : mais comme le Prophète ajoute: « Les princes de Zabulon, les princes de Nephtali6 », on est porté à croire qu’il y eut des Apôtres dans ces tribus, et non dans les autres. A la vérité, je ne vois point comment on prouverait cette opinion; mais comme je ne vois pas non plus comment on la réfuterait, et qu’il est question là des princes de l’Eglise, des chefs de ceux qui bénissent Dieu dans les églises, je ne vois dans ce sens aucune absurdité; mais je préfère celui qui ressort de l’étymologie de ces noms. Ce sont en effet des noms hébreux, et Juda veut dire confession; Zabulon, la maison du courage; Nephtali, ma dilatation. Tous ces noms nous désignent les véritables princes des Eglises, dignes de nous conduire, dignes d’être nos modèles, dignes de nos hommages. Dans l’Eglise, en effet, les martyrs tiennent le premier rang, et sont au faîte des honneurs. Or, dans le martyre, il y a d’abord une confession, et la force d’endurer tout ce qu’il faudra pour la soutenir; viennent ensuite les tourments, et après les tourments, la dilatation de l’allégresse qui en est la récompense. On peut encore l’entendre dans le sens des trois vertus que recommande l’Apôtre, la foi, l’espérance et la charité7 ; la confession est l’oeuvre de la foi, la force l’oeuvre de l’espérance, et la dilatation l’oeuvre de la charité. C’est en effet par la foi que l’on croit de coeur pour obtenir la justice, et que l’on professe de bouche pour obtenir le salut8. Or, pour celui qui est dans les tourments, la réalité est triste, mais l’espérance donne des forces. Car, « si nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience9 ». Quant à l’allégresse, elle est le fruit de la charité répandue dans nos coeurs; car « la charité parfaite bannit la crainte10 » : et cette crainte serait un tourment pour notre âme qu’elle jetterait dans l’inquiétude. Donc, « les princes de Juda marchent les premiers » de ceux qui bénissent le Seigneur dans tes assemblées. « Les princes de Zabulon, les « princes de Nephtali », les princes de la confession, de la force, de l’allégresse; les princes de la foi, de l’espérance et de la charité.