9.
« Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête, tous ceux qui me haïssent « sans sujet1 ». Comment multipliés ? Et s’adjoignant un des douze2. « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête, ceux qui me haïssent sans sujet ». C’est aux cheveux de sa tête qu’il compare ses ennemis. Il fut donc bien juste de les raser, quand il fut crucifié au Calvaire3. Que les membres s’appliquent cette parole, et apprennent à subir une haine injuste. Et s’il est nécessaire, ô Chrétien, que le monde te haïsse dès aujourd’hui, pourquoi ne pas agir de manière à rendre sa haine injuste, afin de reconnaître ta propre voix, dans le corps mystique de ton Seigneur, et dans ce psaume qui le prophétise? Cornaient se pourra-t-il que le monde te haïsse gratuitement? Il le fera si tu ne causes à personne aucun mal qui puisse t’attirer cette haine, puisque gratuitement signifie sans sujet. C’est peu que l’on te haïsse sans sujet, agis encore de manière que l’on te rende le mal pour le bien. « Ils se sont fortifiés coutre moi, ces ennemis qui me poursuivent injustement ». Ce qu’il a dit d’abord : « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête » ; le Psalmiste le répète ici : « Mes ennemis se sont fortifiés contre moi »; et après avoir dit d’abord : « Ils me haïssent gratuitement », il répète: « Ils me poursuivent d’une manière injuste». Telle est la voix des martyrs, non point dans les tourments qu’ils endurent, mais dans leur cause. Ce n’est point d’être persécuté, ni d’être saisi, ni flagellé, ni emprisonné, ni proscrit, ni mis à mort,que l’on est louable; mais endurer tout cela pour une bonne cause, voilà ce qui honore. Car l’honneur est dans la bonté de la cause, et non dans l’atrocité de la peine. Quelque grands qu’eussent été les supplices des martyrs, peuvent-ils être égaux aux supplices de tous les voleurs ensemble, de tous les sacrilèges, de tous les scélérats? Ceux-ci n’ont-ils pas encouru aussi la haine du monde? Oui assurément. La grandeur de leur malice remplit plus que la moitié du monde, et ils sont en quelque sorte bannis de la société même des mondains, car ils troublent même la paix terrestre; et ils sont en butte à des maux nombreux, mais non sans sujet. Voyez encore la plainte de ce larron crucifié avec le Seigneur : quand d’autre part un des larrons insultait au Seigneur cloué à la croix, et lui disait : « Si tu es le Fils de Dieu, délivre-toi », l’autre le fit taire en disant : « Tu ne crains pas Dieu, quand tu es condamné au même supplice? Pour nous, c’est justement que nous sommes châtiés de nos crimes4». Voilà que ce n’est point sans sujet: mais l’aveu lui fait rejeter ce qu’il a de corrompu, et il devient apte à prendre la nourriture du Seigneur. lia rejeté son iniquité, il l’accuse, et cet aveu l’en guérit. Voilà donc deux larrons, voilà aussi le Seigneur: ils sont en croix, comme lui-même est en croix: le monde hait les uns, mais non sans sujet; le monde hait l’autre, mais gratuitement : « J’ai payé ce que je n’ai point enlevé ». Telle est bien la gratuité. Je n’ai rien dérobé, et je dédommage; je n’ai point péché et je subis le châtiment. Celui-là est le seul pour être tel, il n’a rien dérobé. Non-seulement il n’a rien dérobé, mais ce qu’il n’a point acquis par la rapine, il l’abandonne, pour venir jusqu’à nous. « Il n’a point cru que ce fût une usurpation, pour lui, de s’égaler à Dieu : et pourtant il s’est anéanti, en prenant la forme d’un esclave5 ». Il n’a donc rien usurpé. Quel est l’usurpateur ? Adam. Quel est le premier usurpateur? Celui qui séduisit Adam6. Quelle fut l’usurpation du diable? « J’établirai mon trône vers l’aquilon, et je serai semblable au Très-Haut7». Il usurpa ce qui ne lui avait pas été donné; c’est là un vol. Donc le diable usurpa ce qu’il n’avait pas reçu; il perdit ce qu’il avait reçu; et celui qu’il voulait tromper, il le fit boire à la coupe de son orgueil: « Goûtez», dit-il, « et vous serez comme des dieux8 ». Ils voulurent usurper la divinité, ils perdirent le bonheur. Il est donc voleur, de là vient qu’il subit le châtiment. « Pour moi», dit le Psalmiste, « j’ai payé ce que je n’ai point ravi ». Or, le Seigneur, aux approches de sa passion, parle ainsi dans l’Evangile : « Voici venir le prince de ce monde », c’est-à-dire le diable, « et il ne trouvera rien en moi » ; c’est-à-dire, il ne trouvera pas de quoi m’ôter la vie: « mais afin que tous sachent bien que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici9 ». Il s’en alla pour souffrir, afin de payer ce qu’il n’avait point usurpé. Qu’est-ce à dire : « Il ne trouvera rien en moi? » Aucune faute. Le diable a-t-il donc perdu quelque chose de son héritage? Qu’il compte avec les voleurs, « il ne trouvera rien en moi ». Toutefois en disant qu’il n’a rien usurpé, faisant allusion au péché, il affirme qu’il n’a rien pris qui ne fût à lui ; c’est là le vol, c’est là l’iniquité; mais il a repris au démon ce que celui-ci avait enlevé. « Personne », dit-il, « n’entre dans la maison d’un homme fort, et n’enlève ce qui lui appartient, s’il n’a d’abord garrotté cet homme fort10 ». Or, il a lié le fort, et lui a enlevé sa dépouille; il ne l’a point volée, et il peut vous répondre : ces dépouilles avaient été enlevées à mon palais je ne commets pas un vol, je reprends ce qui était volé.