1.
Hier nous avons démontré à votre charité que ce psaume nous prêche la grâce de Dieu, qui nous sauve gratuitement, sans que nous ayons auparavant mérité autre chose que la damnation ; mais comme nous ne pouvions l’expliquer entièrement hier, nous avons réservé pour aujourd’hui la seconde partie, vous promettant d’acquitter notre dette avec le secours de Dieu. Et maintenant qu’il nous faut l’acquitter, soyez attentifs et ouvre; vos coeurs comme des champs fertiles qui rendent la semence au centuple, et ne sont point rebelles à la céleste rosée. Nous avons parlé hier du titre du psaume, et toutefois pour le rappeler à votre mémoire et le faire connaître à ceux qui étaient absents hier, nous en disons rapidement un mot, que doivent se rappeler ceux qui ont entendu, et écouter ceux qui ne le savent point. Ce psaume est pour les enfants de Jonadab, nom qui signifie volontaire de Dieu, et nous enseigne qu’il faut servir Dieu avec une volonté spontanée, c’est-à-dire une volonté bonne, pure, sincère et parfaite, et non avec déguisement: c’est ce qu’indiquent encore ces paroles d’un autre psaume: « Je vous offrirai des sacrifices volontaires1». C’est donc pour les fils de Jonadab, ou pour les fils de l’obéissance, que l’on chante ce psaume, et pour ceux qui les premiers furent conduits en captivité, afin que nous reconnaissions aussi notre gémissement, et qu’à chaque jour suffise sa malice2. Si l’orgueil nous a éloignés de Dieu, que la fatigue nous ramène à lui. Et comme nous ne pouvons retourner à lui que par la grâce, cette grâce nous est donnée gratuitement; car si elle n’était gratuite, elle ne serait plus une grâce. Or, si elle est grâce, parce qu’elle est gratuite, nul mérite en vous ne l’a précédée, pour vous la faire accorder. Car si vos bonnes oeuvres l’avaient précédée, ce serait une récompense, et non un don gratuit: or, le salaire que nous méritions, c’est l’enfer, Notre délivrance n’est donc point due à nos mérites, mais bien à la grâce de Dieu. Bénissons-le donc, et reconnaissons que nous lui sommes redevables de tout ce qui est en nous, et de notre salut. C’est ainsi que le Prophète conclut tout ce qu’il a déjà dit: « Seigneur, je me souviendrai uniquement de « votre justice3 ». C’est là que nous avons terminé hier notre instruction. Ces premiers captifs sont donc ceux qui appartiennent au premier homme: car c’est à cause du premier homme, en qui nous mourons tous, que nous sommes captifs. « En effet, ce n’est point l’homme spirituel qui fut formé le premier, mais bien l’homme animal d’abord, ensuite l’homme spirituel4». Le premier homme a donc l’ait les premiers captifs, et le second homme les seconds rachetés. Car ce nom de rachetés dit hautement que nous étions captifs. D’où nous eût-on rachetés, si auparavant nous n’eussions été eu servitude? Pour exprimer plus clairement cette captivité que nous insinuait l’épître de saint Paul, nous avons emprunté ses paroles, afin de la prêcher en répétant avec lui: « Je vois dans mes membres une loi qui résiste à la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui règne dans mes membres5 ». Telle est notre première captivité qui fait conspirer la chair contre l’esprit6. C’est là le châtiment du péché, de diviser contre lui-même l’homme qui n’a pas voulu avoir un seul maître. Car rien n’est aussi avantageux pour l’âme que l’obéissance. Et si cet assujétissement est si avantageux à l’âme, dans un serviteur pour obéir à son maître, dans un fils pour obéir à son père, dans une épouse pour obéir à son mari; combien le sera-t-il plus dans l’homme pour obéir à Dieu? Adam fit l’expérience du mal, et tout homme est Adam, de même que tout homme est Christ en ceux qui croient, parce que tous sont membres du Christ: Adam fit donc l’expérience du mal, qu’il n’eût jamais ressenti s’il fût demeuré fidèle à cette parole: « N’y touche point7 ». Après cette expérience du mal, qu’il obéisse au médecin qui veut le relever, lui qui n’a point voulu croire au médecin pour n’être point malade. Car un bon, un fidèle médecin donne à ceux qui sont en santé le moyen de ne point leur devenir nécessaire. Car ce n’est point l’homme en santé, mais bien le malade qui a besoin du médecin8. Or, un médecin habile qui vous aime assez pour ne point chercher à vendre son art, qui a plus de joie de vous voir en santé que de vous voir malade, donne aux hommes qui se portent bien des conseils qu’ils doivent observer pour ne point tomber malades. Mais qu’on néglige Ces conseils, et qu’on arrive à la maladie, on a recours au médecin. On invoque, sous l’empire du mal, celui que l’on méprisait en santé. Qu’on le supplie du moins, et que dans le délire de la fièvre on ne s’emporte pas jusqu’à le frapper. Vous avez entendu tout à l’heure, dans la lecture de l’Evangile, une parabole contre ces frénétiques. Etaient-ils sains d’esprit ceux qui disaient: « Voici l’héritier, venez, tuons-le, et l’héritage sera pour nous9? » Assurément non: car après avoir tué le fils, ils eussent tué le père; est-ce là de la sagesse? Enfin les voilà qui ont tué le fils: mais le fils est ressuscité, et la pierre qu’ont repoussée ceux qui bâtissaient, est devenue la pierre angulaire10. Ils se sont heurtés contre elle, et se sont meurtris; elle tombera sur eux pour les écraser. Mais il n’en est pasde même de celui qui chante dans notre psaume, et qui dit: « J’entrerai dans la puissance du Seigneur » : non pas dans la mienne; mais dans celle «du Seigneur » . « Seigneur, je me souviendrai uniquement de votre justice ». Je ne reconnais en moi aucune justice, je me souviendrai uniquement de la vôtre. C’est de vous que je tiens tout le bien qui est en moi; et tout le mal qui est en moi vient de moi. Au lieu du supplice que je méritais, vous m’avez donné la grâce que je ne méritais point. C’est donc uniquement de votre justice que je veux me souvenir.