3.
Mais après la jeunesse? Car « vous m’avez instruit», dit le Prophète, «dès mes jeunes années » ; qu’est-il arrivé après la jeunesse? Dès l’abord de ta conversion, tu as compris qu’avant ton retour à Dieu, il n’y avait rien de juste en toi, et que l’iniquité a précédé tout d’abord, afin que, à l’iniquité une fois bannie, pût succéder la charité; ayant revêtu l’homme nouveau, seulement par l’espérance, et pas encore dans la réalité, tu as compris qu’en toi nul bien n’avait précédé, que la grâce de Dieu t’a seule tourné vers Dieu. Mais depuis ta conversion, as-tu du moins quelque mérite qui t’appartienne, et dois-tu compter sur tes forces? Les hommes disent quelquefois : Laissez maintenant, j’avais besoin d’être mis sur le bon chemin; il suffit, je suivrai ma route. Le guide qui t’a montré le chemin reprend : Ne veux-tu point que je te conduise? Mais toi, dans ta présomption : Non, non, c’est assez, je suivrai ma route. On te laisse, et ton ignorance t’égare de nouveau. Il eût été bien pour toi qu’il te conduisît toujours, celui qui t’avait mis d’abord sur la voie. S’il rie le fait, tu vas t’égarer encore; dis-lui donc : « Seigneur, conduisez-moi dans voire voie, et je marcherai dans votre vérité1 ». Mais prendre une voie nouvelle, c’est la jeunesse pour toi; c’est un renouvellement, le commencement de la foi. Car auparavant tu errais dans tes propres voies, tu t’égarais dans les sentiers âpres et épineux ; meurtri dans tous tes membres, tu cherchais ta patrie, ou cette stabilité d’esprit qui te fît dire : C’est bien, et le le fît dire avec une pleine confiance, libre de toute épreuve, et enfin de toute captivité; or, c’est là ce que tu ne trouvais point. Que dirai-je? Qu’un guide est venu te montrer la voie? C’est la voie elle-même qui est venue vers toi, et tu as été remis dans cette voie, sans que tu l’aies aucunement mérité, puisque tu étais dans l’erreur. Mais depuis que tu y marches, es-tu ton propre guide Celui qui t’a enseigné la voie t’a-t-il délaissé ? Non, dit le Psalmiste:, « Vous m’avez enseigné dès ma jeunesse; et jusqu’à ce jour, je publierai vos merveilles ». Car il y a du merveilleux dans ce que vous faites pour moi, pour me diriger et me mettre sur la route; et ce sont là vos merveilles. Quelles sont, crois-tu, les merveilles de Dieu ? et de toutes ces merveilles, qu’y a-t-il de plus admirable que de ressusciter les morts? Mais suis-le donc un mort, diras-tu? Si tu étais mort, on ne te dirait point: « Lève-toi, ô toi o qui dors, sors d’entre les morts, et le Christ « t’illuminera2 ». Tous les infidèles sont morts, comme tous les pécheurs, ils ont la vie corporelle, mais l’âme est morte. Or, rendre la vie à celui dont le corps est mort, c’est le mettre en état de voir encore cette lumière, et de respirer l’air; mais ce n’est pas être pour lui l’air et la lumière; il commence à revoir ce qu’il voyait auparavant. Ce n’est pas ainsi que l’on ressuscite une âme. Dieu seul ressuscite une âme, comme il est vrai de dire que seul il rend la vie au corps; mais pour Dieu, ressusciter un corps, c’est le rendre au monde; tandis que ressusciter une âme, c’est la ramener à lui-même. Supprimez l’air de ce monde, et le corps meurt aussitôt; que Dieu se retire, et notre âme est morte. Pour Dieu, ressusciter une âme, c’est la mettre en lui-même; en dehors de lui, elle meurt de nouveau. Or, il ne la ressuscite point pour l’abandonner à elle-même, comme il ressuscita Lazare, mort depuis quatre jours, et rendu à la vie du corps par la présence corporelle du Sauveur. Il approcha son corps du sépulcre et cria : « Lazare, sortez, dehors » : Lazare se leva et sortit du sépulcre, tout lié qu’il était, puis on le délia et il s’en alla3. La présence du Seigneur le rendit à la vie, mais il vécut en l’absence du Seigneur. Et toutefois, en le ressuscitant par sa présence corporelle et visible, il le ressuscita encore par cette invisible majesté dont aucun lieu n’est privé. Or, bien que le Seigneur fût présent, d’une manière visible, pour ressusciter Lazare; quand le Seigneur s’éloigna de celte ville ou de ce lieu, Lazare cessa-t-il de vivre? Ce n’est pas ainsi que notre âme revient à la vie. Dieu la ressuscite, et voilà qu’elle meurt de nouveau, si Dieu l’abandonne. Je vais vous dire une chose hardie, et vraie néanmoins : nous avons deux vies, la vie de l’âme et la vie du corps, De même que l’âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de isotte âme; et comme le corps meurt quand il perd son âme, l’esprit meurt quand il perd son Dieu. C’est donc une grâce de la part de Dieu de nous ressusciter et de demeurer avec nous. Aussi, parce qu’il nous délivre de notre mort, et qu’il renouvelle en quelque sorte notre vie, nous lui disons: « O Dieu, vous m’avez instruit dès mes jeunes années ». Et parce qu’il ne s’éloigne point de ceux qu’il ressuscite, de peur que son éloignement ne leur donne la mort, nous lui disons : « Et jusqu’à présent j’annoncerai vos merveilles», car je ne vis qu’en union avec vous; c’est vous qui êtes la vie de mon âme; elle meurt si vous l’abandonnez à elle-même. « C’est donc jusqu’à présent », c’est-à-dire, tandis que ma vie, ou plutôt mon Dieu est en moi. Mais après?