16.
Qu’a fait le Seigneur, après avoir brisé les têtes des dragons ? Ils ont en effet un prince, qui est le premier et le grand dragon. Et qu’en a fait Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre? Ecoutez: « Vous avez u écrasé la tête du dragon1 ». De quel dragon? Par les dragons nous avons entendu tous les démons qui sont aux ordres du diable. Que faut-il entendre par cet autre dragon dont le psaume parle au singulier, et dont le Seigneur a brisé la tête, sinon le diable lui-même? Qu’en a fait le Seigneur? « Vous avez écrasé la tête du dragon » ; tête qui est la source du péché, tête qui fut maudite, pour inviter la race d’Eve à prendre garde à cette tête du serpent2. Dieu donc avertit l’Eglise de fuir le commencement du péché. Quel est ce commencement du péché, ou la tête du dragon? « Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil3 ». Donc, briser la tête du dragon, c’était briser l’orgueil du diable. Mais qu’a fait de cette tête brisée, Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre? « Vous l’avez donnée en pâture aux peuples de l’Ethiopie ». Qu’est-ce à dire? Que devons-nous entendre par les peuples de I’Ethiopie, sinon toutes les nations de la terre? Voilà ce que désigne la couleur de l’Ethiopien, qui est noir. Ceux qui étaient noircis par le péché, sont appelés à la foi, ces peuples dont il est dit: « Vous étiez autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes lumière dans le Seigneur4 ». Ils I sont donc noirs, quand Dieu les appelle, mais afin qu’ils ne demeurent point noirs. C’est d’eux qu’est formée l’Eglise, à qui l’on chante : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur5? » Et sa noirceur ne lui fait-elle pas dire : « Je suis noire, mais je suis belle6» Mais comment l’Ethiopien s’est-il nourri du dragon ? Ne s’est-il pas nourri plutôt de Jésus-Christ ?Mais de Jésus-Christ pour se consommer en lui, du dragon pour le consumer en eux. Nous avons en effet à ce sujet la figure d’un grand mystère; cette figure, c’est le veau d’or qu’adora un peuple infidèle et apostat, qui recherchait les dieux de l’Egypte et répudiait celui qui l’avait délivré de l’esclavage des Egyptiens. Moïse, en effet, dans sa colère à la vue de ce peuple qui se prosternait devant une idole, et enflammé du zèle de Dieu, voulut infliger à ces idolâtres un châtiment temporel, qui leur fit éviter une mort sans fin. Il jeta dans le feu la tête du veau, la brisa, la réduisit en poudre, et la jeta dans l’eau pour la faire boire au peuple7. C’était là un grand symbole. O colère vraiment prophétique dans une âme toujours tranquille, éclairée d’en haut! Que fait Moïse ? Jetez, lui fut-il dit, cette tête au feu, pour la rendre méconnaissable, faites-en une poudre, afin de la réduire peu à peu ; jetez cette poudre dans l’eau, et faites-la boire au peuple. Que nous dit cette figure, sinon que les adorateurs du diable ne sont qu’un même corps avec lui ? De même ceux qui connaissent le Christ, sont incorporés au Christ, selon cette parole de saint Paul: « Vous êtes le corps et les membres du Christ8 ». Or, il fallait consumer le corps du diable, et le consumer par les Israélites. C’est de ce peuple en effet que viennent les Apôtres, de lui que vient l’Eglise, Mais il fut dit à Pierre, à propos des Gentils: « Tue, et mangeb9 ». Qu’est-ce à dire: « Tue et mange ? » Tue ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu es. Ici, « tue et mange »; là, brise et bois : ici et là, c’est néanmoins la même figure ; il fallait, en effet, oui certes, il fallait qu’un corps qui était au diable passât par la foi dans le corps du Christ. Ainsi le diable est consumé peu à peu en perdant ses membres. Voilà ce que figurait encore le serpent de Moïse. Car les mages de Pharaon changeront comme Moïse leurs verges en serpents, mais le serpent de Moïse dévorera toutes ces verges des mages10. Voilà ce qui arrive maintenant au corps du démon; il est dévoré par les Gentils qui embrassent la foi, il est donné en pâture aux peuples de l’Ethiopie. Dire qu’ « il est donné en pâture aux peuples de l’Ethiopie », peut signifier encore qu’il est en proie à leurs morsures. A quelles morsures? A leurs accusations, à leurs malédictions, à leurs représailles, dans le sens de cette prohibition de saint Paul : « Si vous vous déchirez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous consumer réciproquement11». Qu’est-ce à dire, « vous déchirer, vous dévorer mutuellement? » Disputer ensemble, médire l’un de l’autre, vous injurier réciproquement. Voyez ces morsures qui détruisent le diable aujourd’hui. Quel homme aujourd’hui, même chez les païens, dans sa colère contre son serviteur, ne le traite pas de satan? Voilà donc le diable donné en pâture. Tel est le langage des chrétiens, le langage même des païens, qui le maudissent fous en l’adorant.