12.
Rappelez-vous ce qu’il a dit plus haut: « Il abaisse l’un, il élève l’autre ». C’est ce qu’ont figuré dans l’Evangile ces deux hommes, l’un pharisien, et l’autre publicain ; et dans un sens plus large, voyons ici deux nations, les Juifs et les Gentils ; le peuple juif sera le pharisien, le peuple des Gentils le publicain. Les Juifs se vantaient de leurs mérites, les Gentils confessaient leurs péchés. Il peut me comprendre celui qui a lu dans les Ecritures les lettres apostoliques, et les actes des Apôtres : et pour abréger, il voit comment les Apôtres exhortaient les Gentils à ne point désespérer, à la vue des grands désordres de leur vie ; et comment ils réprimaient les Juifs qui se glorifiaient dans les justifications de la loi, qui se regardaient eux-mêmes comme justes, et les Gentils comme des pécheurs, parce que les Juifs avaient une loi, un temple, et un sacerdoce1. Quant à ces idolâtres, qui rendaient un culte aux démons, ils étaient loin de Dieu, comme ce publicain qui se tenait éloigné dans le temple. Mais les Juifs se sont éloignés de Dieu par leur orgueil, commue les Gentils sont revenus à lui par l’humble aveu. Je vous dirai donc ce qu’il plaira au Seigneur sur «ce calice qui est en sa main, et plein d’un vin pur ». Un autre pourra vous donner un sens meilleur ; telle est en effet l’obscurité de ce passage, qu’il est difficile de s’accorder sur un sens unique. Et toutefois, quelque sens que l’on y donne, pourvu qu’il s’accorde avec les règles de la foi, nous n’aurons ni envie contre les plus habiles, ni désespoir dans notre humilité. Je dirai donc à votre charité ce qui me vient à l’esprit, sans empêcher de prêter l’oreille à ceux qui pourront mieux dire. « Cette coupe d’un vin pur et pourtant eu trouble », me paraît être la loi, qui fut donnée aux Juifs, et toute cette Ecriture qu’on appelle ancienne alliance; c’est là que s’embarrassent toutes les interprétations. C’est là, en effet, qu’est caché le Nouveau Testament, comme enveloppé dans la lie des cérémonies légales. La circoncision de la chair est le symbole d’un grand mystère, et nous fait comprendre la circoncision du coeur. Ce temple de Jérusalem, est le symbole d’un grand mystère, et nous désigne le corps du Sauveur. La terre des promesses nous marque le royaume des cieux. L’offrande des victimes et des animaux était un grand symbole: mais tous ces sacrifices différents ne désignaient qu’un seul et même sacrifice, que le Seigneur, victime unique sur la croix: ce seul sacrifice a remplacé tous les autres, parce que tous les autres n’en étaient que la figure, c’est-à-dire le désignaient comme des symboles. Le peuple juif a donc reçu la loi, il a reçu des commandements justes et bons. Quoi de plus juste que ces préceptes : « Vous ne tuerez point ; vous ne commettrez point la fornication ; vous ne déroberez point; vous ne direz point de faux témoignage; honorez votre père et votre mère ; vous ne désirerez point le bien du prochain; vous ne convoiterez pas l’épouse de votre prochain ; vous adorerez un seul Dieu, et ne servirez que lui seul2 ». Tout cela constitue leur vin. Les autres préceptes charnels sont en quelque sorte descendus au fond, pour demeurer chez les Juifs, et afin qu’il en découlât un sens tout à fait spirituel. « Cette coupe alors en la main du Seigneur », ou en la puissance du Seigneur, « est d’un vin pur » , c’est la sainteté de la loi , « et néanmoins troublé » ; c’est-à-dire mélangé avec la lie du symbole charnel. Or, comme « il humilie celui-ci », ou le juif orgueilleux, « et abaisse celui-là », ou le gentil qui s’humilie : « Il a versé sur l’un et sur l’autre », c’est-à-dire du peuple juif, sur le peuple païen. « Toutefois la lie n’est pas épuisée », parce que toutes les enveloppes charnelles sont demeurées chez les Juifs. «Tous les pécheurs de la terre en boiront » ; Qui en boira? « Tous les pêcheurs de la terre ». Quels pécheurs de la terre? Les Juifs étaient pécheurs à la vérité, mais orgueilleux : les Gentils étaient pécheurs aussi, mais humbles. « Tous les pécheurs boiront » ; mais vois pour qui la lie, et pour qui le vin pur. Car les uns se sont affaissés en buvant la lie, les autres se sont justifiés en buvant le vin ; ils se sont même enivrés, j’ose le dire sans crainte ; et puissiez-vous tous avoir cette ivresse. Souvenez-vous de cette parole: «Que votre calice est enivrant et délicieux3! » Eh quoi! mes frères, pensez-vous qu’ils n’étaient pas dans l’ivresse, tous ceux qui ont voulu mourir tour Jésus-Christ ? Ils étaient ivres au point de méconnaître leurs proches. Tous les parents:qui essayaient, par l’amorce des biens terrestres, de les détourner du ciel, ne furent ni écoutés par ces hommes ivres, ni même connus. N’étaient-ils pas ivres ces hommes dont le coeur était ainsi changé? N’était-ce pas de l’ivresse que ce mépris pour le monde ? « Tous les pécheurs de la terre boiront », dit le Prophète. Qui boira le vin? Les pécheurs le boiront, afin de ne point demeurer dans le péché, afin de devenir justes, et non afin d’être châtiés.