2.
« O Dieu! les Gentils sont entrés dans votre héritage: ils ont souillé votre saint temple, et ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits. Les cadavres de vos serviteurs sont la proie des oiseaux du ciel, la chair de vos saints, la pâture des bêtes sauvages. Leur sang a coulé comme l’eau autour de Jérusalem, et nul n’était là pour les ensevelir1 ». Si quelqu’un de nous voit dans cette prophétie la ruine de Jérusalem, qui arriva sous l’empereur romain Titus, alors que Jésus-Christ était déjà ressuscité et monté au ciel, et qu’on prêchait son Evangile parmi les Gentils, je ne vois pas comment le Prophète appelle héritage du Seigneur ut peuple qui n’avait pas reçu Jésus-Christ, qu en le rejetant et en le livrant à la mon avait encouru la réprobation, qui n’avait pat voulu croire en lui-même après sa résurrection, et qui même avait égorgé ses martyrs. Ils étaient néanmoins du peuple d’Israël, ceux qui crurent d’abord au Christ, qui profitèrent de son avènement, pour qui s’accomplit avec fruit et d’une manière salutaire la promesse qui en avait été faite, et dont le Seigneur lui-même a dit : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont égarées2» : ce sont là « les enfants de la promesse » parmi les Juifs, ceux « qui entrent dans la race d’Abraham3»; ils appartiennent à l’héritage de Dieu. De là sont venus Joseph, cet homme juste, et la vierge Marie qui a enfanté le Christ4; de là Jean-Baptiste, l’ami de l’Epoux, et ses parents, Zacharie et Elisabeth5; de là le vieillard Siméon et la veuve Anne, qui n’entendirent point la parole extérieure du Christ, mais qui le connurent tout enfant6; de là les Apôtres; de là Nathanaël sans déguisement7 de là cet autre Joseph, qui attendait aussi le royaume de Dieu8; delà cette grande foule qui le précédait et qui le suivait en chantant « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur9 ». De là cette troupe de petits enfants, dont il est dit qu’ils accomplirent ce mot du Prophète : « C’est de la bouche des nouveaux-nés et des enfants à la mamelle que vous avez tiré une louange parfaite10 ». De là ceux qui, après sa résurrection, furent baptisés11, trois mille en un jour, et cinq mille en un autre jour, et qui, au feu de la charité, ne firent qu’un seul coeur et une seule âme, dont nul ne s’appropriait rien, mais qui possédaient tout en commun12. De là ces saints diacres, parmi lesquels Etienne reçut avant les Apôtres la couronne du martyre13. De là toutes ces Eglises de Judée, qui croyaient au Christ, qui ne connaissaient point le visage de Paul14, mais ses persécutions fameuses, et surtout l’insigne miséricorde que lui fit le Christ. De là Paul lui-même selon la prophétie qui en avait été faite : « C’est un loup ravissant, au matin il enlève sa proie, au soir il partage les dépouilles15»; c’est-à-dire que tout d’abord il persécute et égorge, et ensuite prêche et donne le pain de la vie. C’était là parmi les Juifs l’héritage du Seigneur. Aussi le plus humble des Apôtres16, le docteur des Gentils a-t-il dit : « Que dirai-je? le Seigneur a-t-il réprouvé son peuple? Loin de là; car moi aussi je suis Israélite, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin. Dieu n’a point rejeté son peuple qu’il a choisi dans sa prescience17». Ce peuple sorti de l’ancienne alliance pour entrer dans le corps mystique de Jésus-Christ, est l’héritage de Dieu. Cette parole en effet de l’Apôtre : « Dieu n’a point rejeté le peuple qu’il a connu dans sa prescience », est analogue à cette autre parole du Psalmiste, ainsi écrite : « Car le Seigneur ne rejettera point son peuple»; et il ajoute: « Il n’abandonnera point son héritage18 » : ce qui prouve que ce peuple est bien l’héritage de Dieu, Avant de parler ainsi, d‘Apôtre avait rappelé la prophétie qui annonce pour l’avenir l’incrédulité du peuple d’Israël : « J’ai tendu les bras durant tout le jour à ce peuple incrédule et rebelle à ma parole19». Ici donc, pour empêcher que cette parole mal comprise ne fasse envelopper dans le crime d’incrédulité et de contradiction le peuple tout entier, l’Apôtre ajoute aussitôt : « Je dis donc: Est-ce que Dieu a rejeté son peuple? Loin de là. Car moi, je suis Israélite, de la race d’Israël, et de la tribu de Benjamin ». Montrant ainsi qu’il ne parle que du premier peuple, et que si Dieu l’eût réprouvé, l’eût condamné tout entier, il ne serait point apôtre du Christ, lui, Israélite de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin. il emploie aussi un témoignage très-important, quand il dit: « Ne savez-vous point ce que l’Ecriture rapporte d’Elie, de quelle sorte il demande justice à Dieu contre Israël ? Seigneur, ils ont tué vos Prophètes, ils ont détruit vos autels; je suis demeuré seul, et ils me cherchent pour m’ôter la vie. Mais qu’est-ce que Dieu lui répond ? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. De même donc en ce temps-ci, quelques-uns, que Dieu s’est réservés par l’élection de sa grâce, ont été sauvés ». Tel est le petit nombre qui fait partie de l’héritage de Dieu; mais non ceux. dont il est dit un peu après : « Pour les autres, ils ont été aveuglés»; selon qu’il est écrit: « Qu’est-il donc arrivé? Ce que cherchait Israël, il ne l’a point trouvé, mais les élus l’ont trouvé; et les autres sont tombés dans l’aveuglement20 ». C’est donc cette élection, ce sont ces restes, c’est ce peuple de Dieu que Dieu n’a point rejeté, qui forme son héritage. Mais dans cet autre peuple qui n’a rien trouvé, dans ces autres qui furent aveuglés, ne se trouvait point l’héritage de Dieu dont on put dire après la glorification du Christ au temps de l’empereur Titus : « O Dieu, les Gentils sont entrés dans votre héritage, et tout ce que notre psaume semble prédire sur la destruction de ce peuple de la ville et du temple.
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Ps. LXXVLII, 1-3. ↩
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Matth. XV, 24. ↩
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Rom. IX, 8. ↩
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Matth. II, 16. ↩
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Luc, I, 5. ↩
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Id. II, 25, 36. ↩
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Jean, I, 47. ↩
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Id. XIX, 38; Luc, XXII, 51. ↩
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Math. XXI, 9. ↩
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Ps. VIII, 3. ↩
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Act. II, 41; IV, 4. ↩
-
Id. IV, 32, ↩
-
Id. VII, 58. ↩
-
Gal. 1, 22. ↩
-
Gen. XLIX, 27. ↩
-
I Cor. XV, 9. ↩
-
Rom. XI, 1, 2. ↩
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Ps. XCIII, 14 ↩
-
Rom, X, 21; Isa. LXV, 2. ↩
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Rom. XI, 1-7. ↩