15.
Quant aux biens à venir, le Prophète les prévenant par l’espérance, et les regardant comme présents: « Nous sommes comblés au matin de votre miséricorde1 », s’écrie-t-il. C’est donc au milieu des travaux et des misères de cette nuit, que le flambeau de la prophétie est allumé pour nous, comme une lampe dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour paraisse, et que l’étoile du matin se lève pour nous2. Bienheureux en effet les coeurs purs, car ils verront Dieu3. Alors les justes seront comblés de ce bien dont ils ont faim et soif, quand, marchant par la foi, ils sont éloignés du Seigneur4. De là cette autre parole: « Votre face me comblera de joie5 ». Au matin donc, ils verront et ils contempleront6. Et comme l’ont dit d’autres traducteurs: «Nous sommes rassasiés au matin de votre miséricorde », c’est alors qu’ils seront rassasiés. Ainsi est-il dit ailleurs : « Je serai rassasié à quand se manifestera votre gloire7 ». De là ce mot de l’Evangile: « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Et le Seigneur a dit lui-même: « Je me manifesterai à lui8 ». Jusqu’à ce que ce bien se réalise, aucun bien ne nous suffit, et ne doit nous suffire, de peur qu’il ne s’arrête en chemin, ce désir que nous devons toujours pousser en avant tant qu’il n’est pas au but. « Nous sommes remplis de notre miséricorde : nous avons tressailli, mous avons été pleins de joie tous les jours de notre vie ». Ce jour est un jour sans fin, et tous ces jours font un même jour: de là vient qu’ils rassasient. Ils ne cèlent point la place à leurs successeurs, car il n’y a rien là qui doive y venir, comme s’il n’y était pas, ou qui n’y soit plus parce qu’il est passé. Tous ces jours sont ensemble, parce qu’ils ne font qu’un seul jour qui demeure et ne passe point: c’est l‘éternité. Tels sont les jours dont il est dit: « Quel est l’homme qui veut la vie, et qui désire de voir les jours de bonheur9? » Ces jours sont appelés des années, quand le Psalmiste dit à Dieu: « Pour vous, Seigneur, vous êtes le même, et vos années ne déclinent point10». Car ce ne sont point des années que l’on compte pour rien, ou des jours qui déclinent comme l’ombre11. Ce sont des jours qui subsistent, et dont voulait connaître le nombre, celui qui disait: « Seigneur, faites-moi connaître ma fin », où j’arriverai pour y demeurer, où je n’aurai plus rien à désirer, « et le nombre de mes jours qui subsiste12 », qui est réellement, et non celui qui n’est pas. Ces jours, en effet, dont le Prophète a dit: « Voici que vous avez fait vieillir mes jours13», ne sont proprement pas, puisqu’ils ne subsistent point, ne demeurent point et s’écoulent avec tant de rapidité: on ne trouve pas en eux une seule heure dans laquelle nous puissions demeurer, dont une partie ne soit écoulée déjà, dont l’autre ne soit à venir, et dont nulle ne subsiste réellement. Or, ces années et ces jours ne passeront point, nous n’y passerons point nous-mêmes, nous y serons rassasiés sans aucune défaillance. Que le désir de ces jours enflamme donc notre âme, qu’elle en ait une soif ardente, inextinguible, afin que là haut nous soyons comblés, nous soyons rassasiés, nous disions en réalité ce que nous disons ici par avance: « Au matin nous sommes rassasiés de votre miséricorde, nous avons tressailli, nous nous sommes réjouis dans tous nos jours, la joie nous a fait oublier les jours d’humiliation, les années de nos douleurs14 »