15.
« Heureux l’homme que vous enseignerez, Seigneur, et que vous instruirez de votre loi ; afin de lui adoucir les jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse soit creusée pour le pécheur1 ». Tel est le secret du conseil divin, voilà pourquoi il épargne les pécheurs: c’est qu’une fosse est creusée au méchant. Tu veux déjà l’ensevelir, mais on creuse encore sa fosse, ne te hâte point de l’y jeter. Qu’est-ce à dire, «jusqu’à ce que la fosse soit creusée au pécheur? » Ou bien, quel est ce pécheur? Est-ce un seul homme? Non : qu’est-ce donc? Tous ceux du genre humain qui sont impies, tout le corps des superbes; car il a dit auparavant:
« Rendez aux superbes ce qui leur est dû ». Il était pécheur en effet, ce publicain, qui se tenait les yeux baissés vers la terre, et se frappait la poitrine en disant : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur2». Mais parce qu’il n’était point superbe, et que c’est aux superbes que Dieu rend le salaire, ce n’est point à lui, mais à ceux-ci, que l’on creuse une fosse, jusqu’à ce que Dieu rende à leur orgueil ce qu’il mérite. Ainsi donc dans cette parole: «Jusqu’à ce que la fosse soit creusée pour le pécheur», il faut entendre pour le superbe. Mais quel est le superbe? Celui dont la pénitence ne va point jusqu’à la confession des péchés, afin d’être guéri par l’humilité. Quel est l’homme superbe? Celui qui s’arroge le peu de bien qui peut paraître en lui, et l’enlève à la divine miséricorde. Quel est l’homme superbe ? Celui qui, tout en attribuant à Dieu le bien qu’il fait, insulte néanmoins à ceux qui ne le font point, et s’élève au-dessus d’eux. Ce Pharisien, en effet, disait: «Je vous rends grâces». Il ne disait point: C’est moi qui agis, mais il rendait grâces à Dieu du bien qu’il faisait. Il reconnaissait donc qu’il faisait le bien, et qu’il le faisait par le secours de Dieu. Pourquoi donc est-il réprouvé ? Parce qu’il insultait au publicain. Ecoutez donc, afin de devenir parfaits. Tout homme ou toute femme doit commencer par l’aveu de ses fautes, par une pénitence salutaire, qui témoigne qu’il se corrige et non qu’il se rit de Dieu. Après cette pénitence, quand il commencera à s’affermir dans le bien, il doit encore veiller sur lui, afin de ne point s’attribuer le bien qu’il fait, mais d’en rendre grâces à Celui par la bonté duquel il est entré dans le bien. Car c’est Dieu qui l’a appelé, Dieu qui l’a éclairé. Le voilà donc déjà parfait? Point du tout. Il lui manque une chose encore. Que lui manque-t-il? De ne point s’élever au-dessus de ceux qui ne vivent point encore comme il vit. Quiconque en est là est en sûreté; ce n’est point à lui que l’on rendra le salaire dont il est dit : « Rendez aux superbes ce qu’ils méritent»; il n’est point parmi ceux à qui l’on creuse une fosse. Voyez en effet celui qui disait: «Je vous rends grâces de ce que je ne ressemble point aux autres hommes, qui sont injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce Publicain ». Combien s’élève-t-il dans cette parole « Je ne suis point comme ce Publicain? » Mais celui-ci, la tête baissée, se frappait la poitrine en disant: « Mon Dieu, soyez-moi propice, parce que je suis un lécheur». L’un était orgueilleux de ses bonnes actions, l’autre s’humiliait de ses fautes. Voyez, mes frères, combien l’humilité dans les fautes est plus agréable à Dieu que l’orgueil dans les bonnes actions, tant Dieu déteste l’orgueil. C’est pourquoi le Sauveur conclut ainsi : « Je vous déclare que le Publicain sortit justifié beaucoup plus que le Pharisien ». Et il en donne le motif: «C’est ce que tout homme qui s’élève sera humilié, ce tout homme qui s’humilie sera élevé3 ». Mes frères, pour nous montrer que Jésus-Christ nous apprend l’humilité, il n’est besoin que d’un seul fait : c’est qu’un Dieu s’est fait homme. Voilà cette humilité qui déplaît tant aux païens, et d’où ils nous adressent cette injure: Quel est votre Dieu? un homme qui est né pauvre. Quel est votre Dieu? un crucifié. L’humilité du Christ déplaît donc aux superbes; mais toi, chrétien, imite-la si elle te plaît. Dès qu’on l’imite, il n’est plus rien de pénible, car le Sauveur a dit: « Venez à moi, ô vous qui souffrez et qui êtes chargés, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur4 », Tel est donc l’enseignement chrétien, que nul ne fait bien que par la grâce de Dieu Le mal que fait l’homme vient de l’homme, le bien qu’il fait vient de la faveur divine: s’il commence à faire le bien, qu’il ne se l’attribue point ; et s’il ne se l’attribue point, qu’il en rende grâces à celui dont il l’a reçu; quand il fait le bien, qu’il n’insulte point à celui qui ne le fait point, et ne s’élève point au-dessus de lui. Ce n’est point à lui que se termine la grâce de Dieu de manière à ne point couler sur les autres.