5.
Croyez-vous en effet qu’ils ne frémissent point contre nos jeûnes, ceux qui faisaient retentir hier leurs instruments de musique? Pour nous, sans nous irriter contre eux, jeûnons pour eux. Ainsi l’a dit le Seigneur notre Dieu, il nous a ordonné de prier pour nos ennemis, de prier pour nos persécuteurs1 ; voilà ce qu’a fait l’Eglise pour mettre fin aux persécutions. Elle a été exaucée quand elle a pratiqué ce précepte, Dieu l’exauce chaque jour quand elle le pratique; ses ennemis prévalaient sur elle pour leur malheur; et pour leur bonheur, ils sont dissipés. Voulez-vous savoir quelle a été leur fin? L’Eglise les a absorbés. Vous les cherchez en eux-mêmes, et vous ne les trouvez point cherche-les dans celle qui les a absorbés, et tu les trouveras dans ses entrailles. Dans les entrailles de l’Eglise, en effet, ils sont devenus chrétiens : ils ont péri comme persécuteurs , grandi comme prédicateurs. Aussi quand nous voyons dans leurs fêtes ceux qui sont demeurés païens, se livrer à leurs folies voluptueuses et condamnables, nous prions Dieu pour eux, afin qu’au lieu d’écouter avec plaisir le son des harpes, ils écoutent mieux encore la voix de Dieu. Si une harmonie sans raison flatte notre oreille, la parole de Dieu doit plaire à notre coeur. Mais ce que nous demandons pour eux, quand nous jeûnons aux jours de leurs fêtes, c’est qu’ils soient à eux-mêmes leurs spectacles. Ils ne pourront se voir sans se déplaire, et s’ils ne se déplaisent point, c’est qu’ils ne se considèrent point. Un homme dans l’ivresse ne se déplaît point, mais il déplaît à l’homme sobre. Donne-moi un homme qui trouve son plaisir en Dieu, il mène une vie sérieuse, il soupire après la paix éternelle que Dieu lui a promise : or, qu’il rencontre un homme qui danse au son des instruments, et vois s’il ne plaindrait pas plus cette folie, que le délire d’un frénétique. Donc si nous connaissons leur malheur, plaignons-les, puisque Dieu nous en a délivrés, et si nous les plaignons, prions pour eux, et afin d’être exaucés, jeûnons pour eux. Car ce n’est point pour célébrer leurs solennités que nous jeûnons; nous avons en effet d’autres jeûnes que nous célébrons dans les jours qui précèdent Pâques, et en d’autres jours solennels dans l’Eglise; mais nous jeûnons aux fêtes des païens, afin de gémir quand ils s’élèvent à une joie insensée. Leur joie est un avertissement pour notre douleur, et ils nous font souvenir de ce que nous étions. Mais comme plusieurs sont délivrés de ces folies dans lesquelles nous avons été plongés, nous ne devons point désespérer d’eux-mêmes. S’ils frémissent encore de colère, prions. Si cette partie de la terre qui demeure infidèle est en émoi, pour nous persévérons dans nos gémissements, afin que Dieu leur donne l’intelligence, et qu’ils entendent comme nous ces paroles qui font notre joie : « Le Seigneur est grand dans Sion, il est élevé au-dessus de tous les peuples ».
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Matth. V, 44. ↩