2.
Ecoute l’Apôtre qui distingue ces deux temps, et distingue-les avec lui : « Toi donc, ô homme, qui condamnes ceux qui commettent ces fautes, et qui les commets toi-même, penses-tu éviter le jugement de Dieu1? » Redoublez d’attention. Il se voyait lui-même, cet homme à qui s’adresse l’Apôtre, qui ne parle pas à un homme seulement, mais au genre humain qui est tel, il se voyait tomber chaque jour dans beaucoup de fautes, bien qu’il ne laissât pas de vivre, et qu’il ne lui arrivât aucun mal; et alors il s’imaginait ou que Dieu dort, ou qu’il n’a aucun souci des choses humaines, ou bien qu’il prend plaisir au mal que font les hommes. Saint Paul détruit celte pensée dans leurs coeurs, pourvu néanmoins qu’ils le comprennent. Que dit-il donc? « O homme qui juges ceux qui commettent ces fautes, et qui les fais toi-même, crois-tu donc échapper au jugement de Dieu? » Et comme si on lui répondait : Tant de fois chaque jour je me rends coupable, pourquoi donc ne m’arrive-t-il aucun mal? voilà que l’Apôtre continue en lui montrant que nous sommes au temps de la miséricorde: « Méprises-tu », lui dit-il, « les trésors de sa bonté, de sa patience, de sa longanimité? » Il les méprisait, en effet, mais l’Apôtre lui suggère l’inquiétude. «Ignores-tu », lui dit-il, « que la bonté de Dieu t’invite à la patience? » Voilà le temps de la miséricorde. Mais pour l’empêcher de croire que ce temps durera toujours, comment lui inspire-t-il de l’effroi? « Quant à toi » (écoute le jour du jugement après avoir entendu le jour de la miséricorde , puisqu’il est dit : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement) : quant à toi, par la dureté de ton coeur, et par ton impénitence, tu te grossis un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres2 ». Voilà: « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement». Mais saint Paul nous menace du jugement de Dieu: ce jugement ne doit-il donc nous inspirer que la crainte, et non l’amour? Les méchants doivent le craindre à cause du châtiment, et les bons l’aimer à cause de la couronne qu’ils doivent recevoir. Mais puisque l’Apôtre a effrayé les méchants, dans le passage que j’ai cité, écoute l’espérance qu’il donne aux bons à propos même du jugement; il se met en avant et montre par lui-même que c’est maintenant le temps de la divine miséricorde. Car s’il n’eût lui-même rencontré la miséricorde, qu’eût trouvé en lui le jugement? le blasphème, la persécution, l’outrage. Voilà ce qu’il avoue lui-même en nous signalant ce temps de miséricorde qui est le nôtre: « Tout d’abord », nous dit-il, « j’ai été un blasphémateur, un persécuteur, un insolent; mais j’ai obtenu miséricorde3 ». Peut-être est-il le seul pour avoir obtenu miséricorde? Ecoute comment il nous relève: « Jésus-Christ », nous dit-il, « a voulu montrer en moi sa longanimité pour l’instruction de ceux qui croiront en lui4». Qu’est-ce à dire, « a voulu montrer en moi sa longanimité? » C’est-à-dire que tout pécheur, tout criminel comprenant que Paul a obtenu son pardon, ne doit point s’abandonner au désespoir. Le voilà qui se montre afin de relever les autres. Où? Dans le temps de la miséricorde. Ecoute ce qu’il dit aux bons à propos du jugement, en parlant de lui et des autres. D’abord il a obtenu miséricorde; et comment? Parce qu’il a blasphémé, persécuté, outragé. Le Seigneur est donc venu pour pardonner à Paul, non pour le récompenser. S’il eût voulu lui rendre selon ses oeuvres, qu’eût-il trouvé pour Paul, sinon le châtiment et le supplice? Il n’a point voulu le châtier, il lui a fait don de la grâce. Ecoute bien comment celui qui a reçu cette grâce, ne voit plus dans le Seigneur qu’un débiteur. Il a trouvé en lui un donateur au temps de la miséricorde, il compte sur lui comme sur un débiteur au temps du jugement. Ecoutez ce qu’il dit à ce propos : « Je touche déjà à l’immolation, et le temps de ma mort approché. J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Voilà pour le temps de la miséricorde; écoute pour celui du jugement : « Il ne me reste qu’à lui tendre la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, me rendra au grand jour5». Il ne dit pas : Me donne; mais, « me rendra ». Donner, c’était la miséricorde; rendre, ce sera la justice; car « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre justice ». En lui pardonnant ses péchés, il s’engageait à le couronner. C’est là que « j’ai reçu miséricorde ». Le Seigneur est donc tout d’abord miséricordieux; c’est lui qui « me rendra » la couronne « de justice ». Pourquoi la rendre? Parce qu’ « il est un juste juge ». Pourquoi est-il alors un juste juge? C’est que «j’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé ma foi n. Voilà ce que la justice ne peut se dispenser de couronner. Car elle a trouvé de quoi couronner; mais auparavant qu’avait-elle trouvé? « Un blasphémateur, un persécuteur ». Il a pardonné ces derniers actes, il couronnera les seconds ; il a pardonné les uns au temps de la miséricorde, il couronnera les autres au temps du jugement, car « c’est votre miséricorde et ensuite votre jugement que je veux chanter, ô mon Dieu ». Mais Paul est-il donc le seul pour avoir mérité celte grâce? Car je vous l’ai dit, comme il nous effraie dans un de ses témoignages, ainsi il nous console dans l’autre. Après avoir dit : « Le Seigneur, qui est un juste juge, me rendra en ce grand jour » ; il ajoute: « Et non-seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment sa manifestation et son royaume6».