13.
Fais miséricorde à l’injuste, non parce qu’il est injuste ; car, à le considérer comme tel, ne le reçois point chez toi: c’est-à-dire, ne le reçois point comme si tu aimais son injustice. Car Dieu défend de donner au pécheur, de recevoir les pécheurs chez soi1. Comment alors comprendre cette parole « Donne à quiconque te demande2?» et cette autre: « Si ton ennemi a faim, nourris-le3 ? » Ces préceptes nous paraissent en contradiction; mais quand on frappe au nom de Jésus-Christ, ils deviennent intelligibles. « Ne donne rien au pécheur», non: «Ne reçois pas le pécheur chez loi », non: et cependant « donne à quiconque te demande». Mais c’est un pécheur qui tue demande. Donne-lui, mais non comme à un pécheur. Quand lui donnes-tu comme à un pécheur? Quand tu te plais à lui donner par cela même qu’il est pécheur. Que votre charité veuille bien attendre que j’aie éclairci par des exemples un point qu’il est important de comprendre. Il est dit: Quand un homme a faim, donne-lui, si tu as de quoi lui donner; donne-lui, si tu vois qu’il ait besoin de ton secours. Que les entrailles de ta miséricorde ne se ralentissent point, parce que c’est un pécheur qui te demande. Car c’eit un pécheur en effet qui se présente à toi. Mais en disant un homme pécheur, je dis deux choses bien distinctes, deux noms qui ne sont point superflus: il y a là deux noms, l’homme et Je pécheur: l’homme est l’oeuvre de Dieu, mais le pécheur est l’oeuvre de l’homme. Donne alors à l’oeuvre de Dieu, mais non à l’oeuvre de l’homme. Mais, diras-tu, comment défendre de donner à l’oeuvre de l’homme? Qu’est-ce que donner à l’oeuvre de l’homme? C’est donner au pécheur à cause de son péché, mettre en lui ta complaisance à cause du péché. Qui peut agir ainsi, diras-tu? Qui fera cela? Plût à Dieu qu’il n’y ait personne pour le faire, qu’il n’y en ait que peu, qu’on ne le fasse point publiquement. Ceux qui donnent aux gladiateurs de l’amphithéâtre, pourquoi donnent-ils, qu’ils le disent? Pourquoi donner à un gladiateur? Parce qu’on aime en lui ce qui le rend infâme; voilà ce qu’on nourrit en lui, ce qu’on habille en lui, cette iniquité qu’il étale aux yeux du public. Ceux qui donnent aux histrions, qui donnent aux cochers, qui donnent aux femmes perdues, pourquoi donnent-ils? En leur donnant, ne donnent-ils pas à des hommes? Toutefois ils ne considèrent point en eux l’oeuvre de Dieu, mais bien l’infamie de l’oeuvre humaine. Veux-tu voir ce que tu honores dans un comédien en le revêtant? Que l’on te dise: Fais comme lui ; tu l’aimes, et te réjouit; tu voudrais en quelque façon te dépouiller, pour le revêtir : ne t’offense pas comme d’une injure, si l’on te dit : Ainsi soient tes enfants. C’est là un outrage, diras-tu, Pourquoi un outrage, sinon parce que cette profession est infâme? Les dons que tu fais ne sont donc point faits au courage, mais à l’infamie. De même que donner au gladiateur, ce n’est point donner à l’homme, mais bien à un art coupable (s’il n’était en effet qu’un homme, et non point un gladiateur, tu ne lui donnerais point; et dès lors c’est le vice que tu honores en lui,et non sa qualité d’homme): de même, au contraire, donner au juste, donner au Prophète, donner au disciple du Christ ce dont il a besoin, et ne point penser à sa qualité de disciple du Christ, de ministre du Christ, de dispensateur de Dieu; mais n’avoir dans l’esprit qu’un avantage temporel , qu’une faveur que l’on en peut attendre, c’est ne voir qu’un homme vendu et acheté par le don qu’on lui a fait. Donner ainsi n’est pas plus donner au juste, que cet autre n’a’ donné à l’homme en donnant au gladiateur. Cette vérité est donc claire, mes frères, et je pense que si elle avait d’abord quelque chose d’obscur, elle devient évidente, C’est là ce que le Seigneur enseignait par cette parole: « Quiconque aura reçu un juste4 », laquelle aurait suffi. Mais comme en recevant un juste, on peut avoir une autre intention, espérer de lui quelque avantage temporel, l’assouvissement d’une passion, son secours pour tromper un homme, pour l’opprimer; dès que tu ne le reçois que par espérance d’un semblable avantage, voilà pourquoi Jésus-Christ te refuse la récompense du juste, si tu n’y mets cette condition ainsi exprimée: « Celui qui aura reçu le juste au nom du juste », c’est-à-dire qui l’aura reçu par cela même qu’il est juste. « Et celui qui reçoit le Prophète », non-seulement qui reçoit le Prophète, mais qui le reçoit « au nom du Prophète », honorant en lui cette qualité; et enfin : « Celui qui aura donné un verre d’eau froide à un de ces petits, en sa qualité de mon disciple », c’est-à-dire, parce qu’il est le disciple du Christ, le dispensateur de ses sacrements: «En vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense5 ». Ainsi, comme nous comprenons que, «Celui qui aura reçu le juste au nom du juste, recevra sa récompense », il nous faut comprendre que celui qui recevra le pécheur comme pécheur, perdra la sienne.