5.
Voici comment continue le texte du psaume : « Les oiseaux du ciel habiteront au dessus1 ». Au-dessus de quoi? des onagres ou plutôt des montagnes ? Voici en effet d’où nous devons chercher un sens: « Les eaux couleront au milieu des montagnes; tous les animaux des forêts viendront s’y abreuver; les onagres y boiront à leur soif; et les oiseaux du ciel habiteront au-dessus ». Il paraît plus convenable, d’entendre par là les montagnes, puisque nous voyons en effet cela dans la création. Les oiseaux du ciel habitent sur les montagnes, et non sur les onagres voilà le sens que nous prendrions, si nous y étions contraints. Nous voyons beaucoup d’oiseaux habiter les montagnes, mais il en est beaucoup aussi pour demeurer dans les plaines, beaucoup dans les vallées, beaucoup dans les bois, beaucoup dans les jardins, tous ne sont point sur les montagnes. Toutefois, il y a des oiseaux qui n’habitent que les montagnes seulement. Cette dénomination désigne quelques âmes tout à fait spirituelles. Ces oiseaux désignent ces âmes élevées, qui volent librement en plein air. La joie de ces oiseaux, c’est la sérénité de l’air, et pourtant ils paissent sur les montagnes ; c’est là qu’ils habitent, Vous connaissez les montagnes, déjà nous en avons parlé. Les Prophètes sont des montagnes, les Apôtres des montagnes, les prédicateurs de la vérité des montagnes. C’est là que doit habiter quiconque veut être spirituel ; qu’il ne s’égare point dans les pensées de son coeur ; qu’il y habite, qu’il s’y élève par ses efforts. Il y a des oiseaux qui ont une signification symbolique. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il est dit : « Votre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle2 ». Ce n’est pas en vain qu’il est dit d’Abraham qu’ « il ne divisa point les oiseaux3 ». Dans ce sacrifice tout à fait mystérieux, Abraham prit trois sortes d’animaux, un bélier de trois ans, une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, une tourterelle et une colombe. Il partagea le bélier, et en mit les parties vis-à-vis l’une de l’autre. Il partagea la chèvre, et en mit les parties, l’une vis-à-vis de l’autre; il partagea la génisse, dont il mit les parts dans le même ordre, et l’Ecriture ajoute qu’ « il ne divisa point les oiseaux». On remarque aussi que le bélier avait trois ans, la génisse trois ans, la chèvre trois ans : il n’est rien dit de l’âge des oiseaux. Pourquoi, je vous le demande, sinon parce que les oiseaux désignent ces hommes spirituels , qui ne comptent point les années des temps, occupés qu’ils sont des années de l’éternité, et qui s’élèvent au-dessus des choses de cette vie, par la charité, par l’élan de l’esprit? Tels sont les hommes spirituels qui jugent de tout et ne sont jugés par personne4 : de là vient qu’ils ne forment aucune secte ni par le schisme, ni par l’hérésie. Le bélier désigne dans l’Eglise les pasteurs qui conduisent le troupeau. La génisse désigne le peuple juif, qui a porté le joug de la loi, qui lui était pénible. Quant à la chèvre, elle marque l’Eglise venue de la gentilité, qui bondissait en toute liberté dans ses forêts, et s’y nourrissait de bourgeons amers et sauvages. Les trois années de ces animaux, désignent le troisième âge, ou l’âge de la révélation de la grâce. Le premier âge devança la loi, le second suivit la publication de la loi, et le troisième est l’âge actuel, depuis qué l’on nous prêche le royaume des cieux. Eh quoi donc? disons-nous que le bélier ne fut point divisé? Ne s’est-il point trouvé d’évêques fauteurs de schismes et d’hérésies? Si leurs peuples ne s’étaient point divisés, si la génisse, si la chèvre n’eussent pas été divisées, peut-être eussent-ils rougi de leurs divisions, et fussent-ils rentrés dans le bercail. Les chefs se divisent donc, les peuples se divisent, l’aveugle suit l’aveugle, et tous deux tombent dans la fosse5. Ils sont en face l’un de l’autre. « Mais les oiseaux ne sont point divisés ». Car les hommes spirituels ne connaissent ni schismes ni divisions. La paix est en eux-mêmes, ils la gardent chez les autres autant qu’ils le peuvent, et quand elle vient à défaillir chez les autres, ils la gardent en eux-mêmes. « S’il y a là un fils de la paix, votre faix reposera sur lui, sinon elle retournera vers vous6». Cet homme n’est-il pas un enfant de la paix ? A-t-il voulu être divisé ? Votre paix retournera sur vous, car Abraham ne divisa point les oiseaux. Viendra la fournaise, car Abraham se tint là jusqu’au soir, et alors il éprouva l’invincible terreur du jugement. Car ce soir est la fin du monde, et cette fournaise le jour du jugement à venir. La fournaise divisa aussi ce qui était divisé7. En passant par le milieu elle voit des parties à droite et d’autres à gauche. Il y a donc des hommes charnels, qui sont néanmoins dans le giron de l’Eglise, d’autres qui vivent d’une certaine manière choisie par eux, et nous font craindre pour eux la séduction des hérétiques. Tant qu’ils sont charnels, ils sont divisibles, « Abraham ne divisa point les oiseaux », mais on divise les hommes charnels. « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels». Et comment leur prouve-t-il que les hommes charnels se divisent ? Ecoutez ce qu’il ajoute : « Quand chacun de vous dit: Moi je suis à Paul, moi je suis à Apollo, moi à Céphas, n’êtes-vous point charnels, et ne marchez-vous pas à la manière de l’homme8 ? » Je vous en supplie, mes frères, écoutez, et mettez à profit: secouez tout ce qu’il y a de charnel en vous, passez à l’état de colombe et de tourterelle. Car les oiseaux ne furent point divisés. Mais quiconque demeurera charnel, quiconque vivra d’une manière qui convient aux personnes charnelles, sans toutefois se retirer du giron de l’Eglise, ni céder aux séductions de l’hérésie pour passer au parti contraire, la fournaise viendra pour lui, et sans la fournaise il ne peut être mis à droite. S’il ne veut passer par la fournaise, qu’il devienne tourterelle ou colombe. Que celui qui peut comprendre comprenne. S’il n’en est pas ainsi, et « qu’il bâtisse sur le fondement avec du bois, du foin, de la paille »; s’il élève sur le fondement de la foi, l’édifice des convoitises charnelles, mais en conservant le Christ à sa base, en lui donnant dans le coeur la première place, en ne lui préférant rien autre chose ; on supporte ces sortes de personnes, on les tolère : viendra la fournaise qui brûlera 1e bois, le foin et la paille: « Mais lui, sera sauvé, et néanmoins comme en passant par le feu9». Tel sera l’effet de la fournaise, de mettre les uns à gauche, et ceux qu’elle aura épurés à la droite. « Abraham ne divisa point les oiseaux ». C’est aux oiseaux à voir s’ils sont des oiseaux, à demeurer sur les montagnes. Ils ne doivent point suivre leurs pensées altières comme ceux dont il est dit : « Ils ont ouvert leur bouche contre le ciel10 ». Qu’ils reposent sur les montagnes pour n’être pas emportés par les vents. Ils ont l’autorité des saints : qu’ils reposent sur les montagnes, sur les Apôtres, sur les Prophètes. C’est là que doivent habiter de tels oiseaux, qui trouvent sur les montagnes des rochers, ou la solidité des préceptes divins, De même en effet que cette pierre unique est le Christ, le Verbe de Dieu, de même plusieurs verbes ou paroles de Dieu, sont plusieurs pierres, et ces pierres sont des montagnes. Vois les oiseaux qui habitent ces lieux : « Les oiseaux du ciel y habiteront».