3.
Mais est-ce bien en Adam que nous pouvons tenir ce langage? Et parce que tous les hommes viennent de lui, dès lors qu’il fut créé, tout homme ne peut-il pas dire qu’il a été fait à raison de son origine et de sa génération? Ou bien pouvons-nous dire : « Vos mains m’ont fait et m’ont formé », parce que nul, sans l’oeuvre de Dieu, ne saurait naître de ses parents, qui sont alors générateurs, et Dieu créateur? Otez, en effet, aux choses de ce monde la puissance active de Dieu, elles périront bien vite; et rien ne se produit soit des éléments, soit des parents, soit d’une semence quelconque, si Dieu n’opère en eux. Aussi le Seigneur dit-il au prophète Jérémie: « Je t’ai connu avant de te former au sein de ta mère1 ». Mais Dieu a-t-il formé sans intelligence soit le premier homme , soit chacun de ceux qui naissent en cette vie, pour que le Prophète lui dise: « Vos mains m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence? » L’intelligence ne fait-elle point partie de la nature humaine, pour la distinguer de la brute? Ou bien cette nature serait-elle déformée par le péché au point que Dieu doive même la réformer en cela? Et n’est-ce point pour ce motif que saint Paul disait à ceux qui ont eu part à la régénération : « Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme2 ». Or, c’est dans l’âme qu’est l’intelligence. Puis il dit de nouveau : « Qu’il y ait une transformation dans votre esprit3 ». Quant à ceux qui n’ont aucune part à cette régénération : « Je vous avertis », leur dit-il, « et vous conjure par le Seigneur de ne plus marcher comme les Gentils, qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de la voie de Dieu, par l’ignorance qui est en eux à cause de l’aveuglement de leur cœur4 ». C’est donc à cause de ces yeux intérieurs, dont l’aveuglement consiste à ne pas comprendre, c’est afin qu’ils soient ouverts, et qu’ils deviennent sereins de plus en plus, que nos coeurs sont purifiés par la foi5. Il est vrai que l’homme, s’il n’a aucune intelligence, ne saurait croire en Dieu; et néanmoins la foi le guérit, et dilate son intelligence. Il est, en effet, des choses que nous ne croyons qu’à la condition de les comprendre, d’autres que nous ne comprenons qu’à la condition de tes croire. La foi vient, en effet, de ce que nous entendons, et nous entendons la prédication de la parole du Christ 6, mais dès lors, pour ne rien dire de plus, comment peut croire à celui qui lui prêche la foi un homme qui n’entend pas même la langue du prédicateur? Ensuite s’il n’y avait certaines choses que nous ne pouvons comprendre avant de les croire tout d’abord, le Prophète ne nous dirait point: « Si vous n’avez la foi, vous n’aurez point l’intelligence7 ». Ainsi donc notre intelligence doit s’accroître pour comprendre ce qu’elle croit, et notre foi pour croire les choses qu’elle doit croire : et l’âme pour le comprendre de plus en plus croit aussi en intelligence. Tout cela, néanmoins, ne s’accomplit point par nos propres forces, mais bien par la faveur et le secours de Dieu, comme c’est par l’effet de la chirurgie, et non de la nature, que l’oeil, une fois blessé, recouvre la faculté de voir. Dire à Dieu dès lors : « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos préceptes », ce n’est pas être dépourvu de toute intelligence comme l’animal, ni mériter d’être mis au nombre de ceux « qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, et qui sont entièrement éloignés de la voie de Dieu8». S’il en était ainsi, l’interlocuteur ne tiendrait pas ce langage. Car il n’appartient pas à une intelligence médiocre de savoir à qui l’on doit demander l’intelligence. Il nous reste à réfléchir sur la profondeur des commandements de Dieu, quand, pour les connaître, celui-là demande encore l’intelligence, qui a déjà une si grande pénétration, et qui nous disait tout à l’heure qu’il a gardé les paroles de Dieu.