1.
Avec le secours de Dieu nous devons considérer et exposer cette partie de notre long psaume qui commence ainsi: « Mon « âme est en défaillance dans l’attente de votre salut; je n’espère qu’en votre parole1 ». La défaillance n’est pas toujours une faute ou un châtiment: il est une défaillance louable et désirable. Comme ces deux termes progrès et défaillance sont opposés l’un à l’autre, il est plus ordinaire de prendre le progrès en bonne part et la défaillance en mauvaise part, quand on ne précise ou qu’on ne sous-entend pas en quoi il y a défaillance ou progrès. Mais un mot que l’on ajoute peut donner au progrès un sens défavorable, et un sens favorable à la défaillance. L’Apôtre nous dit ouvertement: « Evitez les discours nouveaux et profanes, dont les progrès sont rapides vers l’impiété2». Et en parlant de quelques-uns: « Ils feront des progrès dans le mal3 ». La défaillance qui va du bien au mal est donc mauvaise; elle est bonne, quand elle va du mal au bien. C’est, en effet, une louable défaillance qui a fait dire au Prophète : « Mon âme languit, elle soupire après vos tabernacles, ô mon Dieu4 ». Aussi le Prophète ne dit-il point : Mon âme a failli à votre salut; mais bien: « Mon âme est dans la défaillance parle désir de votre salut ». Cette défaillance est donc louable; elle marque le désir d’un bien qu’on ne possède point encore, mais que néanmoins on souhaite avec un violent désir. Mais qui peut exhaler ces soupirs, sinon la race choisie, le royal sacerdoce, la nation sainte, le peuple conquis5 et depuis l’origine du monde jusqu’à la fin, soupirant au Christ, dans ceux qui ont vécu, ceux qui vivent, et ceux qui vivront ici-bas au temps marqué parle Seigneur? Témoin le saint vieillard Siméon, qui s’écria en recevant dans ses bras le divin enfant : « Maintenant, Seigneur, vous laissez mourir en paix votre serviteur, selon votre promesse; car mes yeux ont vu votre salut ». Il avait reçu d’en haut l’assurance de ne point mourir avant d’avoir vu l’oint du Seigneur6. Tel nous voyons le désir de ce saint vieillard, et tel était, nous devons le croire, le désir des saints dans les temps les plus reculés. De là cette parole du Sauveur à ses disciples: « Beaucoup de Prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez, et ne e l’ont point vu; entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu7 »; en sorte qu’on peut aussi leur attribuer cette parole: « Mon âme languit après votre salut ». Ni alors, ni aujourd’hui ces désirs des saints n’ont cessé dans le corps du Christ, qui est l’Eglise; ils doivent durer jusqu’à la tin des siècles, jusqu’à l’avènement du Désiré des nations8, selon la promesse du Prophète. Aussi l’Apôtre nous dit-il : « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge; et non-seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement9 ». C’est pourquoi le désir dont nous parlons vient du désir de son avènement, dont saint Paul a dit encore: « Lorsque paraîtra le Christ, qui est votre vie, vous aussi vous paraîtrez avec lui dans la gloire10». Ainsi donc, les premiers temps de l’Eglise qui ont précédé l’enfantement de la Vierge, ont eu des saints qui soupiraient après l’incarnation ; les temps qui s’écoulent depuis qu’il est remonté au ciel ont leurs saints qui aspirent après sa manifestation quand il viendra juger les vivants et les morts. Depuis l’origine du monde jusqu’à la fin, ce désir n’a pas été interrompu un instant, sinon pendant le temps si court que le Christ a vécu avec ses disciples ; en sorte que c’est à tout le corps du Christ qui gémit ici-bas que l’on peut attribuer ces paroles: « Mon âme languit après votre salut, et j’ai mis mon espoir dans votre parole », c’est-à-dire dans votre promesse ; et cette espérance nous fait attendre avec patience ce que nous croyons sans le voir11. Encore ici nous lisons dans le grec12 le verbe que nos traducteurs ont rendu par « surespéré », sans doute parce que cette espérance est au-dessus de toute expression.