1.
Nous présumons, mes frères, que vous veillez non-seulement des yeux du corps, mais aussi des yeux de l’âme, et dès lors nous devons chanter avec intelligence : « Du fond de l’abîme, Seigneur, j’ai crié vers vous; Seigneur, exaucez ma voix1 ». Ces paroles sont d’une âme qui s’élève, et dès lors appartiennent aux cantiques des degrés. Chacun de nous doit donc examiner dans quel abîme il est descendu, et d’où il doit crier vers le Seigneur. Jonas cria du fond de l’abîme, du sein de la baleine2. Non-seulement il était sous les flots, mais dans les entrailles d’un monstre marin : et ni ces abîmes, ni ces entrailles, n’empêchèrent sa prière de s’élever jusqu’à Dieu, et le ventre de la baleine ne ferma point le passage à sa voix suppliante. Sa prière pénétra tout, brisa tout, et arriva aux oreilles de Dieu, si l’on peut dire, néanmoins, qu’elle brisa tout pour arriver aux oreilles de Dieu, quand le Seigneur avait les oreilles dans le coeur du Prophète suppliant. Où, en effet, Dieu n’est-il point présent pour le fidèle qui l’invoque? Toutefois considérons aussi de quel abîme nous crions vers le Seigneur. L’abîme pour nous est cette vie mortelle. Tout homme qui comprend cet abîme, crie, gémit, soupire, jusqu’à ce qu’il sorte des profondeurs, et s’élève jusqu’à Celui qui est assis au-dessus des abîmes et des Chérubins, au-dessus de toutes les créatures, et corporelles et spirituelles, qui sont ses oeuvres; jusqu’à ce que l’âme arrive à lui, et que soit délivrée par lui son image qui est l’homme, et qui, à force d’être tourmentée dans ce gouffre et agitée par les flots, a été défigurée; image toujours dans l’abîme si elle n’est renouvelée et restaurée par le même Dieu qui l’a imprimée en l’homme; car l’homme qui a bien pu tomber par lui-même, est impuissant à se relever; oui, dis-je, image qui demeure dans l’abîme, si Dieu ne l’en retire. Mais crier du fond de l’abîme, c’est sortir de l’abîme, et ce cri même empêche qu’on soit longtemps dans ces profondeurs. Ils sont bien dans les derniers abîmes, ceux qui ne crient pas même vers le Seigneur. « Quand le pécheur est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise3». Voyez, mes frères, s’il est un abîme plus profond que le mépris de Dieu. Quand un homme se voit chaque jour accablé de péchés, brisé en quelque sorte sous le poids, sous la Montagne de ses iniquités ; dites-lui de prier Dieu, il vous oppose le sarcasme. Comment cela? Si mes péchés déplaisaient à Dieu, serais-je encore en vie? Si Dieu prenait soin des choses d’ici-bas, après tant de crimes que j’ai commis, non-seulement serais-je en vie, mais se pourrait-il que je fusse heureux? Voilà en det ce qui arrive d’ordinaire à ceux qui s’engloutissent dans l’abîme, et qui sont heureux dans leur désordre; plus ils semblent heureux, plus profond est leur abîme. Car un faux bonheur n’est qu’un surcroît de malheur. On dit encore: Puisque j’ai commis tant de fautes, et que ma damnation est proche, c’est perdre pour moi que ne point faire ce que je puis;dès lors que je suis toujours perdu, pourquoi ne pas agir à mon gré? C’est le langage des brigands les plus désespérés : Si le juge doit m’envoyer à la mort pour dix homicides, comme pour quinze, comme pour un seul, pourquoi ne point faire tout ce qu’il me vient à la pensée? Tel est le sens de cette parois: « Quand le pécheur est arrivé au fond de l’abîme, il dédaigne ». Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui n’a point méprisé nos abîmes, qui a daigné descendre jusqu’à cette misérable vie, en nous promettant la rémission de nos péchés, a soulevé l’homme du fond de cet abîme, l’a forcé de crier sous le poids de ses fautes, afin que la voix de ce pécheur pût arriver jusqu’à Dieu. D’où pouvait-il crier, si ce n’est du fond des malheurs?