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Il est donc des hommes qui veulent faire des miracles, et qui exigent des miracles de ceux qui se perfectionnent dans l’Eglise; et ceux qui s’imaginent avoir fait quelques progrès, prétendent faire des miracles semblables et ne croient appartenir à Dieu qu’à la condition d’en faire.1 Or, le Seigneur notre Dieu, qui sait donner à chacun ce qu’il doit, afin de conserver la paix et l’union dans son Eglise, leur tient ce langage par son Apôtre: « L’oeil ne saurait dire à la main: Je n’ai pas besoin de vous; non plus que la tête aux pieds Vous ne m’êtes point nécessaires; si tout le corps était oeil, où serait l’ouïe? et s’il était tout ouïe, où serait l’odorat2 ?» Il est donc visible que dans le corps humain chaque membre a sa fonction particulière.
L’oeil voit, mais n’entend point, l’oreille entend et ne voit point; la main agit, sans voir ni entendre; le pied marche, sans entendre, sans voir, sans agir comme la main. Mais quand le corps est en santé, les membres n’ont aucun litige l’un contre l’autre: l’oreille voit au moyen de l’oeil, et l’oeil entend au moyen de l’oreille: et l’on ne saurait reprocher à l’oreille de ne point voir, ni lui dire Tu n’as rien, tu es en défaut : pourrais-tu voir et discerner les couleurs comme le fait l’oeil? Pour se maintenir en paix dans le corps, l’oreille doit répondre et dire : Je suis où est l’oeil, dans le même corps. Par moi je ne vois point, mais je vois par celui qui m’accompagne. De même que l’oreille dit : L’oeil voit pour moi, l’oeil peut dire: L’oreille entend pour moi, et tous deux, l’oeil et l’oreille, diront: La main agit pour nous; et les mains diront : Les yeux et les oreilles entendent et voient pour nous; et les yeux, les oreilles, et les mains diront : Les pieds marchent pour nous; et lorsque tout agit dans le corps, s’il y a dans les membres union et santé, tous se réjouissent et se communiquent leur joie3. Et si quelque membre vient à souffrir, les autres, loin de l’abandonner, souffrent avec lui. Bien que dans le corps le pied soit très-éloigné de l’oeil (car l’un est tout en haut, et l’autre tout en bas), l’oeil abandonne-t-il le pied? quand on marche sur une épine, ne voyons-nous pas tout le corps se courber, l’homme s’asseoir, et s’incliner afin de chercher cette épine, qui s’est enfoncée à la plante du pied? Tous les membres s’efforcent de tirer cette épine du lieu le plus bas et le moindre de tout le corps. Ainsi donc, mes frères, quiconque, dans le corps mystique du Christ, ne peut ressusciter un mort, ne doit point chercher à le faire, mais seulement à se mettre en harmonie avec tout le corps. Ainsi l’oreille qui voudrait voir, serait un désaccord. Car elle ne saurait faire ce qui n’est point dans ses fonctions. Mais que l’on vienne vous dire : Si vous étiez juste, vous ressusciteriez les morts, comme l’a fait saint Pierre; répondez que les Apôtres paraissent avoir fait au nom du Christ des miracles Plus grands que ceux de Jésus-Christ lui-même4. Mais dans quel but? Etait-ce donc pour donner aux branches la prépondérance sur la racine? Comment donc Paraissent-ils avoir fait des miracles supérieurs à ceux du Christ lui. même? Ce fut la voix du maître qui ressuscita les morts, tandis que Pierre ressuscita les morts de son ombre seulement5. L’un semble plus grand que l’autre. Seulement le Christ pouvait opérer sans Pierre, mais non Pierre sans Jésus-Christ : « Car sans moi vous ne pouvez rien faire6 ». Aussi, qu’un homme qui avance dans la piété entende cette abjecte calomnie dans la bouche de quelques païens, d’hommes qui ne savent ce qu’ils disent; qu’il réponde, en se tenant dans l’union du Christ : Toi, qui me dis : Tu n’es pas juste, puisque tu ne fais aucun miracle; pourrais-tu dire à l’oreille: Tu n’es pas dans le corps humain; puisque tu ne vois pas? Fais des miracles, me dis-tu, comme saint Pierre en faisait; mais c’est pour moi que Pierre opérait ces miracles, puisque je suis dans ce même corps d’où Pierre les faisait. Je puis en lui ce qu’il pouvait, puisque je ne suis point séparé de lui : si je puis moins, il compatit à ma faiblesse; s’il peut davantage, j’en partage la joie7. Le Christ au nom de tout son corps n’a-t-il pas crié du haut des cieux : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter8? » Et pourtant, nul ne le touchait; mais la tête criait d’en haut pour le corps qui souffrait sur la terre.