11.
Est-il une oeuvre que nous fassions par une volonté libre? Car tout ce que nous avons énuméré est l’oeuvre de la nécessité si nous ne l’eussions fait, il nous eût fallu demeurer dans la pauvreté, dans l’indigence. Trouverons-nous quelque chose qui soit l’oeuvre de notre volonté libre ? Oui, assurément, c’est quand nous louons Dieu par amour. Car tu fais cela d’une volonté libre, quand tu aimes ce que tu loues; ce n’est point l’effet de la nécessité, mais du plaisir que tu y trouves. De là vient que les justes et les saints ont trouvé de la douceur en Dieu, même quand il les châtiait ; il leur plaisait même dans ce qui inspire à l’injuste de la répulsion et sous le fléau de Dieu, dans l’affliction, dans les peines, dans les plaies, dans la pauvreté, ils bénissaient Dieu ; sa conduite même sévère ne leur a point déplu. C’est là aimer gratuitement, et non par l’appât d’une récompense; car Dieu que nous aimons gratuitement sera lui-même notre suprême récompense : et tu dois l’aimer de manière à ne pas cesser de le désirer pour récompense, puisque lui seul peut te rassasier; c’est ce que Philippe désirait quand il disait : « Montrez-nous le Père et cela nous suffit1 ». Et c’est avec raison, puisque nous le faisons par une volonté libre, et que nous devons le faire librement; puisque nous le faisons par attrait, nous le faisons avec amour : et quand même il nous châtierait, il ne doit pas nous déplaire, puisqu’il est toujours juste. C’est là ce que nous dit le Prophète en chantant ses louanges : « Seigneur, les voeux que je vous offrirai sont dans mon coeur, et les louanges que je dois vous rendre2 ». Et ailleurs : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires3 ». Qu’est-ce à dire, « je vous offrirai des sacrifices volontaires ? » Je vous bénirai de bonne volonté. Car « c’est le sacrifice de louanges, dit le Seigneur, qui me glorifiera4 ». Si l’on te forçait d’offrir à ton Dieu un sacrifice qui lui fût agréable et selon la loi, comme l’on offrait autrefois des sacrifices qui figuraient l’avenir, tu ne saurais peut-être trouver dans tes troupeaux un taureau convenable, et parmi tes chèvres un bouc qui fût digne de l’autel du Seigneur, ni dans tes étables un bélier qui pût être offert en sacrifice; et dans ton impuissance à trouver ce que tu dois faire, tu dirais peut-être à Dieu : J’ai voulu, mais je n’ai pu. Mais en fait de louanges, oseras-tu dire: J’ai voulu, et je n’ai pu ? Vouloir, c’est une louange. Car Dieu ne demande point tes paroles, mais ton coeur. Car enfin, tu pourrais dire : Je n’ai point de langue. Qu’un homme devienne muet par quelque maladie, il n’a point de langue et n’en loue pas moins le Seigneur. Si le Seigneur avait des oreilles de chair, s’il avait besoin que la voix résonnât pour l’entendre, n’avoir plus de langue, ce serait n’avoir plus de louanges à lui offrir ; mais comme c’est le coeur qu’il cherche et le coeur qu’il regarde, il est témoin de ce qui se lasse à l’intérieur, il est juge, il t’approuve, il t’aide, il te couronne5 ; il lui suffit de ta volonté. Si tu le peux, confesse-le de bouche pour être sauvé ; si tu ne saurais, crois dans ton coeur pour être juste. C’est ton coeur qui loue, ton coeur qui bénit, ton coeur qui offre de saintes victimes sur l’autel de ta conscience; et l’on te répond: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté6 ».