9.
De même que le diable entra jadis dans Judas et lui fit trahir son Seigneur1, ce qu’il n’eût point fait si Judas ne lui eût ouvert son coeur; de même, au milieu de Babylone, un grand nombre de méchants, par des convoitises charnelles et coupables, ouvrent leurs coeurs au diable et à ses anges, qui agissent en eux et par eux, quand ils nous questionnent et nous disent : Exposez-nous vos raisons. Les païens pour la plupart nous viennent dire : Expliquez-nous pourquoi l’avènement du Christ, de quoi sert le Christ au genre humain ? Depuis cet avènement le monde n’est-il pas dans un état pire qu’auparavant, et les hommes d’alors n’étaient-ils pas plus heureux que maintenant? Que les Chrétiens nous disent le bien que nous a fait le Christ; en quoi l’avènement du Christ a-t-il amélioré la condition des hommes? Tu le vois, si les théâtres, si les amphithéâtres, si les cirques subsistaient dans leur entier, si rien ne dépérissait à Babylone, si les hommes se plongeaient dans toutes sortes de plaisirs, chantant et dansant au son d’abominables refrains, s’ils jouissaient en paix et en toute sécurité des compagnes de leurs débauches, s’ils ne craignaient point la faim dans leur maison, ceux qui applaudissent aux bouffons; si toutes ces voluptés coulaient sans ruine et sans trouble, si l’on pouvait s’y plonger sans crainte, les temps seraient heureux, et le Christ aurait apporté sur la terre une grande félicité. Mais parce que Dieu châtie l’iniquité, parce qu’il arrache des coeurs les convoitises de la terre, afin d’y planter l’amour de Jérusalem ; parce que cette vie est mêlée d’amertume, afin que nous désirions la vie éternelle; parce que Dieu instruit les hommes par le châtiment, les redresse par une correction paternelle afin de leur taire éviter la damnation, le Christ n’a apporté aucun bien, le Christ n’a apporté que des maux! En vain tu énumères à cet homme les biens dont nous sommes redevables à Jésus-Christ, il n’y comprend rien. Tu lui parles de ceux qui suivent à la lettre ce que nous venons d’entendre dans l’Evangile ; « qui vendent leurs biens « pour en donner le prix aux pauvres, afin d’avoir un trésor dans le ciel, et de suivre le Sauveur2 ». Tu lui dis: Voilà les biens apportés par le Christ. Combien distribuent leurs biens aux pauvres, et se font pauvres eux-mêmes, non par nécessité, mais volontairement, et suivent Dieu dans l’espérance du royaume des cieux ! Ils se rient de ces pauvres comme d’insensés : Et voilà, disent-ils, les biens du Christ, perdre ses possessions, et s’appauvrir pour donner aux pauvres? Que répondre à un tel homme? Tu ne comprends pas, lui diras-tu, les biens du Christ; tu es absorbé par un autre, qui est l’adversaire du Christ, et à qui tu as ouvert ton coeur. Tu jettes les yeux sur les temps anciens, et ces temps te paraissent plus heureux ; comme des olives pendantes à l’arbre, au souffle des vents, ainsi les hommes s’imaginaient jouir d’un certain air de liberté, en promenant çà et là leurs vagues désirs. Mais voici que l’on jette l’olive sous le pressoir; car elle ne pouvait demeurer toujours sur l’arbre, et l’année touchait à sa fin, Ce n’est pas sans raison que plusieurs de nos psaumes sont intitulés : « Pour les pressoirs3 ». Liberté sur l’arbre, écrasement au pressoir. Tu as remarqué, en effet, que l’avarice augmente à mesure que les biens du monde sont broyés et pressurés; vois aussi que la continence augmente à son tour. D’où vient cet aveuglement qui ne te laisse voir que le marc coulant dans les rues, et te dérobe l’huile pure qui coule dans les vases? Et cela n’est pas sans figure. L’homme qui fait le mal est connu publiquement: mais l’homme qui se convertit à Dieu, qui se purifie des souillures de ses coupables désirs, celui-là demeure caché ; car le mare coule visiblement au pressoir, ou plutôt du pressoir, tandis que l’huile coule secrètement dans les réservoirs.