17.
Viens donc, et avec tes raisonnements si sages, si ingénieux, si subtils, viens nous dire que c’est là une véritable nourriture, dis-nous: Un affamé peut-il en nourrir un autre, c’est-à-dire un pécheur donner la sainteté? Un homme qui meurt de faim peut-il donner à manger? un malade peut-il guérir ? un homme garrotté en délier un autre? Grandes et subtiles raisons, dont on veut séduire les impies ! Que notre psaume leur ferme la bouche : « Dieu qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Je n’attends rien de toi, « c’est Dieu qui donne la nourriture aux affamés ». A quels affamés? à tous. Qu’est. ce à dire, à tous? C’est-à-dire qu’il donne la nourriture à tous les animaux, à tous les hommes, et il ne réserverait aucune nourriture à ses bien-aimés ? S’ils ont une autre faim , ils ont aussi une autre nourriture. Cherchons d’abord de quoi ils ont faim, et nous verrons ensuite quelle est leur nourriture. « Bienheureux ceux qui ont faim et soit de la justice , parce qu’ils seront rassasiés1 ». Nous devons avoir faim de Dieu. Présentons-nous devant sa porte, en sa présence, prions-le comme des mendiants; « c’est lui qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Pourquoi, hérétique, le vanter de délier, de relever, d’éclairer? Diras-tu que tu es délivré, que tu es debout, que tu es lumière? loin de là. Ecoute ce qui vient d’être dit: « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui n’est point le salut ». Ils ne donnent point le salut. Arrière donc tous les hérétiques. « C’est le Seigneur qui délie les captifs, le Seigneur qui relève ceux qui sont tombés , le Seigneur qui donne la sagesse aux aveugles2 », c’est-à-dire qu’il rend sages ceux qui sont aveugles. Cette pensée nous explique parfaitement les précédentes; cette parole : « Il délie ceux que l’on enchaîne », aurait pu nous faire croire qu’il s’agit ici de ces serviteurs qu’un maître a mis aux fers pour quelque faute; et celle-ci:
« Il relève ceux qui tombent », reporte notre pensée sur l’homme qui trébuche et tombe,ou que son cheval renverse. Il est d’autres chutes, comme il est d’autres chaînes, comme il est d’autres ténèbres et une autre lumière. Le Prophète nous dit que le Seigneur « donne la sagesse aux aveugles », et non qu’il éclaire les aveugles, de peur qu’on ne le comprenne à la lettre, comme on le fait de cet aveugle à qui le Seigneur ouvrit les yeux et qu’il sauva, en faisant de la boue avec sa salive3. Afin que nous n’attendions aucune de ces faveurs temporelles, le Prophète nous parle de cette lumière de la sagesse qui éclaire les aveugles. Les captifs donc sont déliés, les hommes tombés sont relevés, dans le même sens que les aveugles arrivent à la lumière de la sagesse. D’où vient que nous sommes enchaînés? quelle chute nous a brisés ? Notre corps fut d’abord pour nous un ornement; le péché en fait une lourde chaîne. Quelle est cette chaîne que nous portons? Notre mortalité. Ecoute l’apôtre saint Paul, encore enchaîné dans ce lieu d’exil. Quelles contrées n’a point parcourues cet enchaîné? ses chaînes lui furent peu lourdes, puisque, nonobstant leur poids, il prêcha l’Evangile à l’univers entier: l’esprit de charité souleva ses chaînes, et il parcourut une infinité de régions. Que nous dit-il néanmoins? « Mon désir est d’être délié, afin d’aller avec le Christ4 ». Et toutefois, sa compassion pour les autres captifs lui fait désirer d’être lié, afin de les servir encore: « Mais demeurer en la chair», nous dit-il, « m’est nécessaire à cause de vous ». C’est donc « le Seigneur qui délie les captifs », c’est-à-dire qui, de mortels, nous rend immortels. « C’est le Seigneur qui relève ceux qui tombent ». Pourquoi tomber? parce qu’ils se sont élevés. Pourquoi sont-ils relevés? parce qu’ils se sont humiliés, Adam tomba et fut brisé5 ; il tomba, tandis que le Christ descendit. Pourquoi descendre, lui qui n’avait fait aucune chute, sinon afin de relever celui qui était tombé? « Le Seigneur donne aux aveugles la sagesse ; le Seigneur aime les justes ». Aussi rend-il justice à ceux qui souffrent injustement,