13.
« Levez-vous, Seigneur, et appliquez-vous à me juger1». Pourquoi te juger? parce que tu es dans la tribulation ? Parce que les inquiétudes et les souffrances ne te laissent pas de repos? Est-ce qu’une multitude de méchants n’éprouvent pas des tourments pareils? Pourquoi te juger? Es-tu juste par cela même que tu souffres ainsi ? Non. Mais, qu’est-ce à dire : « A me juger ? » Que lis-tu ensuite? : « Appliquez-vous à me juger, Seigneur, mon Dieu ; appliquez-vous à ma cause». Non pas à mes peines, mais à ma cause; non parce que je souffre comme le larron, mais parce qu’en moi s’accomplit cette parole: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice2». Voilà cette cause parfaitement définie. Les bons et les méchants ont à supporter des peines pareilles: ce qui constitue le martyre, ce n’est donc pas la souffrance; c’en est le motif. Si les supplices faisaient les martyrs, toutes les mines en regorgeraient, toutes les chaînes serviraient à en conduire, la couronne serait accordée à tous ceux qui tombent sous le glaive. Il faut donc connaître le motif des souffrances. Aussi, que personne ne dise: Je souffre, donc je suis un juste. Celui qui a souffert le premier a souffert pour la justice; c’est pourquoi il a ajouté cette condition essentielle : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice».
Il en est plusieurs qui deviennent persécuteurs pour la bonne cause, comme il en est qui souffrent persécution pour en soutenir une mauvaise. Si l’on ne pouvait devenir persécuteur à bon droit, le psalmiste n’aurait pas dit : « Je persécutais celui qui médisait secrètement de son prochain3». De plus, mes frères, un père juste et bon ne persécute-t-il pas un fils libertin? Il persécute, non pas l’homme, mais ses vices; non pas son enfant, mais ce qui est venu s’y adjoindre. Le médecin, appelé pour soulager un malade, n’emploie-t-il pas souvent les instruments tranchants? c’est contre la blessure et non point contre l’homme; il coupe, mais pour guérir: et, pourtant, quand il tranche dans le corps du patient, celui-ci souffre, il crie, il résiste; et si, par hasard, la fièvre lui a fait perdre la raison, il va jusqu’à frapper le médecin : mais celui-ci continue à le soigner, il fait ce qu’il doit faire sans se tourmenter, en aucune façon, des malédictions et des injures qu’il en reçoit. N’éveille-t-on pas tous ceux qui tombent en léthargie, dans la crainte de voir leur profond sommeil aboutir à la mort ? Et par qui sont-ils éveillés, sinon par les enfants qu’ils ont été si heureux de mettre au monde? Nul ne mériterait le titre de fils dévoué, s’il ne faisait violence à son père en circonstance pareille. On éveille les gens tombés en léthargie, on garrotte les frénétiques, uniquement parce qu’on les aime. Que personne ne dise donc : Je souffre persécution. Il ne suffit pas de faire parade de ses maux, il faut en faire connaître le motif; et si l’on ne peut démontrer que la cause en est juste, on doit être mis au nombre des méchants. Aussi, avec quel à-propos et quelles paroles pleines de justesse il s’est recommandé à Dieu! « Seigneur, appliquez-vous à mon jugement», non à mes peines : « Seigneur, mon Dieu, appliquez-vous à ma cause».