3.
« J’ai dit: Je veillerai sur mes voies, pour n’être point coupable dans mes paroles1 ». Croyez-le bien, il est difficile pour un homme de lire, de parler, de prêcher, d’avertir, de reprendre, quand il est à l’oeuvre, fatigué par les devoirs pénibles, comme un homme qui traite avec des hommes, bien qu’il ait devancé tous ceux qui n’ont point mis leur joie en Dieu, et de ne point faillir ou pécher par la langue. « Quiconque ne pèche point par la langue», est-il écrit, « est un homme parfait2». Peut-être l’interlocuteur avait-il parlé de manière à s’en repentir, et avait-il dit quelque parole qu’il eût voulu, mais qu’il ne pouvait retenir. Ce n’est pas sans raison que notre langue est toujours humide, afin de glisser facilement. Il voit donc combien il est difficile qu’un homme soit obligé de parler et ne dise rien qu’il puisse regretter; et, à la vue de toutes ces fautes , il se prend d’ennui et demande à Dieu de pouvoir les éviter. Telle est la peine dans laquelle se trouve l’homme qui devance. Que l’homme qui demeure en arrière ne me juge pas, qu’il prenne le devant et il éprouvera ce que je dis ; car alors il sera un témoin et un fils de la vérité. Dans cette situation il avait résolu de ne point parler, afin de n’avoir point à se repentir de ses paroles. C’est là ce qu’indiquent les premiers mots : « J’ai dit : Je veillerai sur mes voies, pour n’être point coupable dans mes paroles ». Oui, Idithun, garde tes voies, afin que tes paroles soient irréprochables : pèse bien ce que tu diras, examine, consulte la vérité intérieure; et porte-la ensuite à l’auditeur du dehors. Tu cherches souvent à en agir ainsi dans le trouble des affaires, dans la préoccupation des esprits, alors que l’âme déjà si faible et sous le poids d’un corps qui se corrompt, veut écouter et veut parler, écouter à l’intérieur, parler au dehors; et, dans son empressement à parler, elle néglige de s’instruire, et il lui arrive de dire ce qu’elle aurait dû taire. Le meilleur des remèdes en ce cas est le silence. Voilà un pécheur, un pécheur qui mérite ce nom plus particulièrement, homme orgueilleux et jaloux; il entend parler Idithum, il épie son langage, lui tend des piéges; et il est bien difficile que dans ses paroles il n’en trouve quelques-unes qui manquent de convenance. Il est auditeur sans pardon, et jaloux jusqu’à la calomnie. C’est pourquoi Idithun, qui le devance, avait résolu de se taire et commençait ainsi son cantique: « J’ai dit: Je veillerai sur mes voies, afin de n’être point répréhensible dans mes paroles ». Tant que je serai surpris par les médisants, ou du moins tenté, sinon surpris, «je veillerai sur mes voies, pour ne point pécher en paroles ». Quoique bien au-dessus des terrestres plaisirs, quoique les frivoles affections des choses temporelles ne me touchent point; quoique je dédaigne ces choses d’ici-bas pour m’élever à un amour meilleur, il me suffit néanmoins de goûter devant Dieu le plaisir de comprendre la supériorité de mon amour; qu’est-il besoin de parler pour que l’on me censure, et d’ouvrir le champ aux médisances? « J’ai donc dit: Je veillerai sur mes voies, afin de ne point pécher dans mes paroles. J’ai mis une garde à ma bouche». Pourquoi? Est-ce à cause des hommes pieux, des hommes qui aiment la parole de Dieu, des fidèles, des saints? A Dieu ne plaise I Ces hommes écoutent avec l’intention de louer ce qu’ils approuvent; et, quant à ce qu’ils désapprouvent, au milieu de bien des choses dont ils font l’éloge, ils aiment mieux le pardonner que l’envenimer par la calomnie. A l’égard desquels veux-tu donc veiller sur tes voies, afin de n’être pas répréhensible en paroles, et veux-tu mettre un frein à ta bouche? Ecoute la réponse : « Tandis que le pécheur se tient devant moi ». Il ne se tient pas près de moi; mais: « Il se tient à l’encontre de moi ». Que puis-je dire enfin pour le satisfaire? Je parle de choses spirituelles à un homme tout charnel, qui voit, qui entend au dehors, mais qui à l’intérieur est sourd et aveugle. Car l’homme animal ne comprend point ce qui est de l’esprit de Dieu3. Et s’il n’était charnel, s’emporterait-il à ces calomnies? « Bienheureux celui qui parle à une oreille qui écoute4 », non à l’oreille du pécheur, qui se tient à l’encontre. Telle était cette multitude qui se dressait en frémissant devant celui « qui ressemblait à la brebis que l’on mène à la boucherie, et qui n’ouvrait point la bouche, non plus que l’agneau devant celui qui le tond5». Que dire en effet à des hommes orgueilleux, brouillons, calomniateurs, querelleurs, verbeux? Que leur dire de saint, de pieux, comment leur parler de religion, ô toi qui les devances; quand le Sauveur dit à des hommes qui l’écoutaient volontiers, qui désiraient s’instruire, dont la bouche s’ouvrait à la vérité, qui la recevaient avidement: « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent6? » Et l’Apôtre : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels » : dont il ne faut point désespérer, mais qu’il faut nourrir. Car il ajoute: « Je vous ai donné du lait comme à de petits enfants en Jésus-Christ, et non de la nourriture dont vous n’étiez pas capables ». Parlez donc au moins maintenant. « Maintenant même, vous ne l’êtes pas encore7».Ne t’empresse donc point d’écouter ce que tu ne comprends point, mais grandis afin de comprendre. C’est ce que nous disons aux petits enfant, qu’il nous faut nourrir du lait de la piété dam le giron de l’Eglise, et rendre capables de manger à la table du Seigneur. Que dire de semblable au pécheur qui se tient en face de moi, qui se croit ou feint d’être capable d’entendre ce qui est au-dessus de lui? Si je lui parle et qu’il ne comprenne point, il croira que je suis en défaut, et non pas son intelligence. C’est donc en vue de ce pécheur qui se tient à l’encontre de moi, que « j’ai mis un frein à ma bouche ».