3.
Que t’a-t-il donné? Qu’a-t-il fait pour toi? il! m’a tiré de l’abîme de la misère et d’un lac fangeux. il a consolidé mes pieds sur la terre et a dirigé mes pas. Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, un hymne à notre Dieu1 ». Il nous a donc fait de grands biens, et nous est redevable encore. Mais que celui qui a déjà reçu ces promesses ait la foi pour le reste, lui qui aurait toujours dû croire, n’eût-il rien reçu. Dieu a voulu par des effets nous montrer qu’il est fidèle dans ses promesses et large dans ses dons. Qu’a-t-il donc fait dès cette vie ? « Il m’a tiré de l’abîme de la misère ». Quel est cet abîme de misère? C’est l’abîme du péché creusé par les convoitises de la chair. Tel est ce lac bourbeux. D’où Dieu t’a-t-il retiré? d’une certaine profondeur. Aussi criais-tu dans un autre psaume: « Du fond de l’abîme j’ai crié vers vous, ô mon Dieu2». Mais ceux qui crient déjà du fond de l’abîme ne sont pas au plus profond: leurs cris les soulèvent. Ceux-là sont plus bas dans l’abîme, qui ne savent pas qu’ils y sont plongés. Tels sont les orgueilleux qui méprisent, au lieu de prier avec piété, de gémir avec larmes: ces âmes que désigne cet autre passage de l’Ecriture « Quand le pécheur arrive dans les profondeurs du mal, il méprise3». Dès qu’un homme compte pour rien d’être pécheur, dès qu’au lieu de confesser ses crimes, il va jusqu’à les défendre , il est au plus profond de l’abîme. Mais celui qui dans l’abîme pousse des cris, a déjà soulevé sa tête du fond de cet abîme afin de crier. Dieu l’a entendu et l’a tiré des profondeurs de la misère, et du lac bourbeux. Déjà il a la foi qu’il n’avait pas; il a l’espérance dont il était sevré; il marche avec le Christ, lui qui errait avec le diable. Aussi dit-il que le Seigneur « a consolidé ses pieds sur la pierre, qu’il a dirigé ses pas. Cette pierre était le Christ4». Soyons donc sur la pierre, marchons avec droiture. Car nous devons marcher encore afin d’arriver. Que disait en effet saint Paul, affermi sur la pierre, lui dont les démarches étaient redressées? « Non que j’aie atteint déjà mon but, ou que je sois parfait. Non, mes frères, je ne crois pas être arrivé à mon but5 ». Qu’avez-vous donc obtenu, si vous n’avez point reçu? D’où vient cette action de grâces qui vous fait dire : « Mais j’ai obtenu miséricorde? » C’est que ses pieds sont redressés et qu’il marche sur la pierre. Que dit-il en effet? « Il est un fait, c’est que j’oublie ce qui est en arrière6 ». Qu’est-ce qui est en arrière? L’abîme de misère. Qu’est-ce encore? Le lac bourbeux, les charnelles convoitises, les ténèbres de l’iniquité. « J’oublie ce qui est en arrière, pour m’élancer vers ce qui est devant moi ». Il ne dirait pas qu’il s’élance, s’il était parvenu. Car l’âme s’élance par l’amour de ce qu’elle désire, et non par la joie de ce qu’elle a obtenu. « Je m’élance»,dit-il, «vers ce qui est en avant, je cours vers la palme de la céleste vocation qui est en Dieu par Jésus-Christ7». Il courait donc, il voulait remporter la palme. Et ailleurs, sur le point de cueillir cette palme, « J’ai achevé ma course8 », dit-il. Quand il disait donc: « Je cours vers la palme de la céleste vocation », parce que ses pieds étaient redressés, raffermis sur la pierre, déjà il marchait dans le bon chemin : il avait des grâces à rendre, il avait des demandes à faire, à rendre grâces de ce qu’il avait reçu, à demander ce qui lui était dû encore. Qu’avait-il reçu? Le pardon de ses fautes, les lumières de la foi, la force de l’espérance, le feu de la charité. De quoi le Seigneur lui était-il redevable? «Il ne me reste plus», dit-il, « qu’à recevoir la couronne de justice ». Il y a donc envers moi des arrérages? Quels arrérages? « La couronne de justice, que le Seigneur, comme un juste juge, m’accordera en ce grand jour9 ». Dans sa bonté paternelle, il m’a tiré d’abord de l’abîme des misères, m’a remis mes fautes, m’a soulevé du lac bourbeux : dans l’équité d’un juge, il tient sa promesse envers celui qui marche dans la bonne voie, après l’avoir fait tout d’abord marcher dans cette voie. Ce juge équitable tiendra donc sa promesse; mais envers qui? « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé10 ».