LXV. — De la résurrection de Lazare 1.
Nous croyons fermement, d'après le récit évangélique, que Lazare est ressuscité; cependant je ne doute pas que ce fait renferme aussi une allégorie. Mais le sens allégorique d'un événement n'en détruit pas la certitude. Par exemple : saint Paul nous dit que les deux :ils d'Abraham représentent en allégorie les deux Testaments 2. Abraham en a-t-il moins existé pour cela, ou n'a-t-il pas eu deux fils?
Donc voyons en allégorie, dans Lazare enseveli, l'âme, c'est-à-dire le genre humain, accablé sous le poids du péché : ce que le Seigneur lui-même exprime ailleurs dans la parabole de la brebis perdue, pour laquelle il déclare être descendu en laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres sur la montagne 3. Cette question : « Où l'avez-vous mis ? » me semble avoir rapport â notre vocation qui se fait dans le secret; car notre prédestination à la vocation est mystérieuse, comme l'indique l'interrogation du Seigneur, qui semble l'ignorer parce que nous l'ignorons nous-mêmes , selon les termes de l'Apôtre : « Afin que je connaisse, comme je suis connu 4. » Ou bien encore cette question rappelle, comme le Seigneur le dit ailleurs, qu'il ne connaît pas les pécheurs : « Je ne vous connais pas 5. » Voilà ce que signifiait la sépulture de Lazare, car la doctrine et les commandements de Dieu ne contiennent pas de péchés. Telle est encore l'interrogation qu'on lit dans la Genèse : « Adam, où es-tu 6 ? » Adam avait péché et s'était soustrait aux regards de Dieu. C'est ce que représente ici la sépulture: Lazare mort figure le pécheur; Lazare enseveli, c'est le pécheur se dérobant aria regards divins.
« Otez la pierre. » Ces paroles, je pense, font allusion à ceux qui voulaient imposer la circoncision aux païens convertis à l'Église, et contre lesquels l'Apôtre a écrit plus d'une fois 7; ou aux membres de l'Église dont la conduite est criminelle et qui scandalisent ceux qui seraient disposés à croire. « Marthe lui dit : Seigneur, « voici déjà le quatrième jour et il sent mauvais. » La terre est le dernier- des quatre éléments; elle est donc la figure de la puanteur des péchés, c'est-à-dire des passions charnelles. « Tu es terre, » a dit le Seigneur à Adam après son péché, « et tu retourneras en terre 8. » On ôta la pierre, et Lazare sortit du tombeau, lié aux pieds et aux mains, et le visage enveloppé d'un suaire. Cette sortie du tombeau est l'image de l'âme se détachant des vices de la chair. Si Lazare est lié, c'est que tout en renonçant aux passions charnelles et en obéissant par l'esprit à la loi de Dieu, nous ne pouvons cependant être exempts des inconvénients de la chair, tant que nous habiterons dans notre corps; aussi l'Apôtre nous dit : « J'obéis par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché 9. » Quant au suaire qui enveloppait le visage du mort, il signifie que nous ne pouvons avoir en cette vie de connaissance parfaite, suivant le mot de l'Apôtre : « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme; mais plus tard nous verrons face à face 10. » Puis Jésus dit : « Déliez-le et le laissez aller; » c'est-à-dire qu'après cette vie, tous les voiles seront écartés, afin que nous voyions face à face. Pour mesurer la distance qui sépare des autres hommes l'Homme que la Sagesse de Dieu animait, et par qui nous avons été sauvés, il suffit de comprendre que Lazare n'a été délié qu'au sortir du tombeau, c'est-à-dire que l'âme, même rendue a la vie, ne peut être dégagée de tout péché et de l'ignorance qu'après la dissolution de son corps; tant qu'elle ne voit le Seigneur qu'à travers un miroir et en énigme; tandis que les linges et le suaire de celui qui n'a point péché et n'a rien ignoré, ont été trouvés dans le sépulcre 11. Seul donc, non-seulement il n'a point senti dans sa chair le poids du. tombeau., comme s'il eût été trouvé coupable de quelque péché 12; mais il n'a point été embarrassé dans les bandelettes, comme s'il eût ignoré quelque chose ou qu'il eût pu être retardé dans sa marche.