CHAPITRE XVII. LES PARABOLES DE L'IVRAIE ET DU SERVITEUR NÉGLIGENT N'ONT AUCUN RAPPORT AVEC LE SUJET.
31.
D'après ces principes, notre but, en refusant le baptême à ces sortes de pécheurs, n'est pas d'arracher l'ivraie avant la moisson, mais de ne point la semer, comme le fait Satan; loin de repousser ceux qui veulent venir à Jésus-Christ, nous, leur prouvons par leur propre conduite qu'ils refusent de venir à lui; loin de les empêcher de croire, nous leur démontrons qu'ils sont coupables de leur incrédulité, puisqu'ils ne veulent pas reconnaître un adultère dans l'acte qualifié d'adultère parle Seigneur, et qu'ils s'imaginent pouvoir incorporer à Jésus-Christ ceux qui ne posséderont jamais le royaume de Dieu, comme il ledit encore par la bouche de l'Apôtre, et qui s'opposent à la saine doctrine dont Dieu se glorifie dans sa félicité sans bornes. N'assimilons donc plus ces pécheurs aux convives qui vinrent au festin des noces: ils doivent être rangés parmi ceux qui refusent de venir. Assez audacieux pour se mettre en pleine contradiction avec la doctrine même de Jésus-Christ et se révolter contre le saint Evangile, ils dédaignent de venir, loin d'essuyer un refus. Il en est qui renoncent au monde en paroles sinon en actes; ceux-là du moins se présentent: ils sont semés parmi les bons; ils sont rassemblés dans l'aire; ils sont réunis aux brebis; ils entrent dans le filet; ils sont accueillis parmi les convives. Qu'ils soient hypocrites, ou qu'ils soient sincèrement dociles; on n'a plus de raison pour les repousser, puisqu'on ne saurait pénétrer dans leur conscience, et qu'on ne doit pas préjuger les motifs, qui justifieraient leur excommunication. Loin de nous la pensée que si on rassembla dans la salle des noces ceux qu'on rencontra et bons et mauvais 1, on y amena également ceux qui avaient affiché leur résolution de persévérer dans le mal. A ce titre, en effet, les serviteurs du père de famille auraient eux-mêmes semé l'ivraie et tout serait vain dans ce passage: « L'ennemi qui l'a semée, c'est le démon 2. » Cette hypothèse étant impossible, il faut penser que les serviteurs ont amené les bons et les méchants cachés sous de faux dehors ou reconnus seulement après avoir été introduits dans la salle du festin. Peut-être encore l'expression de bons et de mauvais a-t-elle la même signification que dans le langage ordinaire où elle n'est qu'un terme de louange ou de mépris on qualifie même les païens. C'est en ce sens que Jésus-Christ parle aux disciples qu'il envoya la première fois prêcher l'Evangile : il leur recommande de s'informer, dans toutes les villes où ils entreront, des personnes qui sont dignes de les recevoir chez eux jusqu'à leur départ 3. Or, à quelle marque reconnaîtra-t-on les gens dignes, sinon à l'estime dont ils jouissent parmi leurs concitoyens, et les gens indignes, sinon à leur mauvaise réputation? Voilà les bons et les méchants qui sont amenés à Jésus-Christ et qui se présentent pour croire en lui. On les accueille s'ils consentent à se dégager par la pénitence des oeuvres de mort. Ne consentent-ils pas? on les repousse, et loin de chercher à entrer, ils se ferment eux-mêmes la porte par une opposition aussi éclatante.
32.
Et le serviteur de l'Evangile qui refusa de faire valoir le talent de son Maître ! Il devrait bannir toute inquiétude et ne pas craindre d'être accusé de négligence. On lui ressemble, on ne veut pas recevoir le talent que le Seigneur confie. Car cette parabole 4 s'adresse à ceux qui ne veulent pas se charger dans l'Eglise de la fonction de distribuer les trésors du Seigneur en déguisant leur indifférence sous le prétexte qu'ils ne veulent pas répondre des péchés d'autrui; ils écoutent sans agir, ils reçoivent sans rien rendre. Or, quand le serviteur exact et fidèle; plein d'ardeur pour faire valoir les trésors de son maître et attentif à ménager ses intérêts, vient dire à un adultère: Si tu veux être baptisé, cesse d'être adultère, crois en Jésus-Christ qui qualifie d'adultère le commerce, que tu entretiens; cesse d'appartenir à une prostituée, si tu veux devenir membre de Jésus-Christ; si cet homme lui répond: je n'obéirai pas, je ne cesserai pas; il est clair qu'il refuse de recevoir te talent de bon aloi du Seigneur, ou plutôt qu'il voudrait mêler à ce trésor sa fausse-monnaie. Supposons au contraire qu'après avoir promis d'obéir il ne tienne pas ses engagements sans qu'on puisse le corriger: on verrait ce qu'il faut faire de lui pour l'empêcher de nuire aux autres après s'être nui à lui-même; méchant poisson, égaré dans le flet divin, on l'empêcherait de prendre à ses pièges les poissons du Seigneur, on ne permettrait pas qu'en menant une vie coupable dans l'Eglise il y fit naître une doctrine pernicieuse. Si ces pécheurs, tout en faisant l'apologie de leurs turpitudes, tout en étalant l'intention expresse d'y persévérer, sont admis au baptême, alors il ne reste plus, ce semble, qu'à prêcher que les fornicateurs et les adultères, dussent-ils garder leurs criminelles habitudes jusqu'à la lin de leurs jours, posséderont le royaume de Dieu et, par la vertu de la foi, toute morte qu'elle est sans les oeuvres, obtiendront la vie et le salut éternel. C'est là le plus dangereux des filets, et les pêcheurs doivent surtout s'en défier; je parle ainsi dans la pensée que la parabole de l'Evangile désigne les Evêques ou les directeurs subalternes de l’Eglise, d’après cette parole: « Venez et je vous ferai pêcheurs d'hommes 5. » Le filet prend toute sorte de poissons, bons et mauvais: mais un mauvais filet ne prendra jamais les bons poissons. Or, dans le sein de la véritable doctrine on peut être bon si l'on joint les oeuvres à la foi, mauvais si l'on croit sans pratiquer ; dans l'hérésie on est mauvais, tout en ne se conformant pas à ce que l'on croit la vérité, -plus coupable encore, si on s'y conforme.