CHAPITRE PREMIER. DOIT-ON ADMETTRE INDISTINCTEMENT TOUT LE MONDE AU BAPTÊME ET N'ENSEIGNER LA MORALE QU'APRÈS CE SACREMENT ?
1.
Selon l'opinion de quelques personnes, on doit admettre indifféremment au bain sacré qui nous régénère en Jésus-Christ tous les hommes, même ceux qui ne consentiraient pas à réformer leur vie souillée des crimes et des infamies les plus notoires, et qui afficheraient la résolution de persévérer dans leurs désordres. Par exemple, un homme vit dans l'adultère. Si l'on en croit ces personnes, on doit lui conférer le baptême sans l'avertir de rompre cette liaison criminelle ; lors même qu'il y persévérait, . qu'il se flatterait dans son coeur ou se vanterait publiquement d'y persévérer, il n'en faudrait pas moins l'admettre au baptême, et laisser devenir membre de Jésus-Christ l'homme qui veut rester, celui d'une prostituée 1 ; on attendra qu'il soit baptisé pour lui apprendre l'énormité de son péché et les moyens de réformer ses moeurs. Dans leur opinion, c'est intervertir et confondre l'ordre des choses que d'enseigner à vivre en chrétien avant de baptiser ; il faut d'abord conférer le sacrement, puis inculquer les règles de la morale chrétienne ; si on les observe fidèlement, on agira selon son intérêt ; si on ne le veut pas et qu'en gardant la foi chrétienne, sans laquelle on serait condamné à la mort éternelle, on persévère dans toute sorte de crimes et d'infamies, on se sauvera, en passant comme par le feu; on aura le sort de celui qui a élevé sur le véritable fondement, c'est-à-dire, sur la doctrine de Jésus-Christ, un édifice, non d'or, d'argent et de pierres précieuses, mais de bois, de foin et de paille 2, en d'autres termes des oeuvres non de justice et de pureté, mais d'injustice et d'impudicité.
2.
Ces personnes semblent avoir soulevé cette controverse, parce qu'elles voyaient avec peine qu'on refusait le baptême aux hommes ou aux femmes qui, après avoir divorcé , avaient contracté un nouveau mariage . Une pareille union, en effet, n'est pas un mariage, mais un adultère, comme le déclare formellement Notre-Seigneur Jésus-Christ 3. Ne pouvant donc nier l'adultère, si ouvertement reconnu par la Vérité elle-même dans ces sortes d'unions, et voulant toutefois faire admettre au baptême, par le poids de leurs suffrages, les pécheurs qu'elles voyaient assez aveuglément engagés dans les chaînes pour se résoudre, si on leur refusait le baptême, à vivre, à mourir même sans ce sacrement, plutôt que de s'affranchir des liens de l'adultère ; elles ont été poussées par une compassion toute humaine à se charger de la cause de ces malheureux ; et tel a été leur zèle qu'elles ont pensé qu'on devait admettre au baptême pêle-mêle avec ces pécheurs, les scélérats et les débauchés, sans leur adresser aucun avis, sans les corriger par aucune réprimande, sans les transformer par la pénitence ; elles ont cru qu'ils encourraient la mort éternelle, sans le baptême, tandis que, par la grâce du baptême, ils se sauveraient à travers le feu, malgré leur obstination à vivre dans leurs dérèglements.