I.
La pudicité est la fleur des mœurs, l'honneur du corps, la gloire des deux sexes, l'intégrité du sang, la garantie de l'espèce humaine, le fondement de la sainteté, le préjugé de toute vertu. Quoiqu'elle soit rare, difficilement parfaite, et à peine durable, elle demeurera cependant quelque temps dans le monde, si elle est préparée par la nature, persuadée par la discipline, contenue par la censure. En effet, toute vertu est le fruit de la naissance, de l'éducation ou de la contrainte. Mais, comme les maux l'emportent, ce qui est le caractère des derniers temps, il s'ensuit que les biens ne peuvent plus naître, grâce à la corruption des semences, ni se développer par l'éducation, grâce à l'abandon des études, ni être contraints, grâce au relâchement des lois. En un mot, la vertu dont il s'agit est tellement tombée en désuétude, que l'on fait consister la pudicité, non plus à triompher de la passion, mais à en modérer la fougue; et que pour avoir la réputation de chasteté, il faut bien peu de chasteté. Mais laissons la pudicité du siècle avec le siècle lui-même; qu'elle naisse avec son esprit, qu'elle se forme à son école, ou qu'elle soit contrainte par sa servitude, qu'importe? Je me trompe, elle eût été plus malheureuse encore si elle eût subsisté, puisqu'elle fût demeurée stérile, comme ne faisant rien pour Dieu. Je préfère l'absence d'un bien à un bien inutile. Que sert-il d'être ce qui n'est pas profitable? On s'attaque à l'essence même de nos biens; on ébranle le fondement de la pudicité chrétienne, qui tire du ciel tout ce qui la caractérise, et sa nature par le bain de la régénération, et sa règle par l'instrument de la prédication, et sa censure par les jugements empruntés à l'un et à l'autre Testaments, soutenue d'ailleurs dans ses efforts par la crainte et l'attente du feu éternel ou du royaume.
N'aurais-je pas pu, moi aussi, étouffer la vérité sur ce point? J'apprends qu'un édit est affiché, et même qu'il est péremptoire. Le souverain Pontife1, c'est-à-dire l'évêque des évêques, parle en ces termes: « Quant à moi, je remets le péché de l'adultère et de la fornication à ceux qui ont fait pénitence. » O édit, sur lequel on ne pourra écrire: Bonne action! Et où affichera-t-on cette libéralité? sur les portes des passions, j'imagine, et au-dessous de l'enseigne des passions. Une pareille pénitence doit se promulguer là où réside l'impudicité. Il faut lire son pardon là où l'on entrera avec l'espérance de son pardon. Mais quoi! c'est à la porte de l'église qu'on le lit! c'est dans l'église qu'on le proclame; et elle est vierge! Loin, loin de l'épouse du Christ une telle publication! Celle qui est véritable, qui est pudique, qui est sainte, empêchera la souillure d'arriver même à ses oreilles. Elle n'a point de fornicateurs auxquels elle promette cette grâce. En eût-elle, elle ne la promettrait pas, parce que « le temple de Dieu, élevé par la main des hommes, a été appelé une caverne de voleurs, » plutôt que d'adultères et de fornicateurs.
Ce traité contre les Psychiques, et même contre l'opinion que j'ai partagée quand j'étais dans leur société, leur fournira une nouvelle raison pour m'accuser de légèreté. Jamais la répudiation d'une alliance n'est une présomption de péché, comme s'il n'était pas plus facile d'errer avec la foule, lorsque c'est la vérité que l'on aime avec le petit nombre. Mais une inconstance salutaire ne me déshonorera pas plus que ne me ferait honneur une inconstance qui me perdrait. Je ne rougis pas d'une erreur à laquelle j'ai renoncé, parce que je me félicite d'y avoir renoncé, et que je me trouve meilleur et plus chaste. Personne ne connaît la honte pour s'être amendé. La science dans le Christ a aussi ses diverses périodes par lesquelles passa l'Apôtre lui-même. « Lorsque j'étais enfant, dit-il, je parlais comme un enfant, et je raisonnais comme un enfant. Mais depuis que j'ai atteint la maturité de l'homme, je me suis dégagé de tout ce qui appartenait à l'enfance. » Tant il est vrai qu'il abandonne ses premières pensées, sans pécher toutefois, lorsqu'il se montre zélé, non pour les traditions de ses pères, « mais pour les traditions chrétiennes, » désirant même le retranchement de ceux qui conseillaient « le maintien de la circoncision. » Plût à Dieu qu'il en fût ainsi de ceux qui immolent la pure et véritable intégrité de la chair, mutilant la pudeur elle-même, non pas dans sa surface extérieure, mais dans ses formes les plus intimes, lorsqu'ils promettent le pardon aux adultères et aux fornicateurs, au mépris de la vénérable discipline du nom de chrétien, discipline à laquelle le siècle lui-même rend un tel témoignage, que s'il essaie quelquefois de la punir dans nos femmes, c'est plutôt par la souillure de la chair que par le supplice, en voulant leur ravir ce qu'elles préfèrent à la vie. Mais cette gloire décline. Il faut s'en prendre à ceux qui devaient d'autant plus énergiquement refuser le pardon à ces sortes d'infamies, qu'ils se marient autant de fois qu'ils veulent, précisément pour ne pas être forcés de succomber à l'adultère et à la fornication, « parce qu'il vaut mieux se marier que de brûler. » C'est-à-dire que l'incontinence est nécessaire à cause de l'incontinence, et que l'incendie s'éteindra avec les flammes. Pourquoi donc remettent-ils dans la suite, au nom de la pénitence, des crimes auxquels ils assignent pour remède la liberté de plusieurs mariages? Car les remèdes sont superflus là où les crimes sont pardonnes, de même que les crimes demeurent là où les remèdes sont inutiles. Ainsi, de part et d'autre, ils se jouent de la sollicitude et de la négligence; ici, en prémunissant inutilement ceux auxquels ils pardonnent; là, en pardonnant sottement à ceux qu'ils prémunissent, puisqu'il n'est pas besoin de précaution là où on pardonne, ni de pardon là où il y a eu précaution. Ils prémunissent en effet comme s'ils voulaient empêcher le crime; ils le remettent comme s'ils voulaient qu'il fût commis; tandis que s'ils ne voulaient pas qu'il fût commis, ils ne devraient pas le remettre, ou que s'ils ne veulent pas le remettre, ils ne devraient pas chercher à le prévenir. L'adultère et la fornication, en effet, ne sont pas rangés indifféremment dans les prévarications médiocres ou graves, pour qu'ils comportent à la fois et la sollicitude qui prémunit, et la confiance qui pardonne. Mais comme ils sont, par leur nature, à la tête de tous les crimes, ils ne peuvent en même temps être remis comme fautes légères, et environnés de précautions comme délits mortels. Chez nous2, au contraire, on se précautionne si bien contre les prévarications graves et capitales, que nous ne permettons pas même de passer, après avoir embrassé la foi, à de secondes noces qui, à nos yeux, ne diffèrent de la fornication et de l'adultère, que par le contrat et la dot. Voilà pourquoi, préconisant le Paraclet par la supériorité de sa doctrine, nous retranchons sans pitié de notre sein ceux qui contractent un second mariage, de même que nous excluons les adultères et les fornicateurs, condamnés à répandre désormais des larmes stériles, et à n'emporter de l'Eglise que la proclamation de leur déshonneur.