10.
Il s'agit de la chasteté du corps. Une personne très-honorable se présente et demande la permission de mentir, de mentir sans hésitation, dans le cas où un homme veut lui faire violence et lui infliger un déshonneur qu'elle pourrait éviter au moyen d'un mensonge. La réponse est facile : toute pudeur du corps dépend de la pureté de l'âme ; ôtez la pureté de l'âme, celle du corps disparaît, bien qu'elle semble intacte. Aussi ne doit-on pas compter celle-ci parmi les biens temporels, puisqu'on ne peut la perdre malgré soi. L'âme n'aura donc garde de se corrompre par le mensonge, pour sauver la pureté de son corps, qu'elle sait être intacte, tant que la corruption ne provient pas d'elle-même.
En effet, ce que le corps subit par violence et sans les préliminaires de la passion, ne doit point s'appeler corruption , mais violence tyrannique. Ou bien si toute violence est corruption, toute corruption n'est pas coupable, à moins que la passion ne l'ait provoquée ou n'y ait consenti. Or, plus l'âme l'emporte sur le corps, plus il est criminel de la souiller. Le sanctuaire de la pudeur est donc là où la corruption ne peut exister tant qu'elle n'est pas volontaire. Car, si un. libertin attaque le corps violemment et qu'on ne puisse l'écarter, ni par la force, ni par le conseil, ni par le mensonge, nous sommes certainement obligés de convenir que la pudeur est hors de l'atteinte d'une passion étrangère. Par conséquent, comme personne ne doute que l'âme l'emporte sur le corps, il faut préférer à la pureté du corps celle de l'âme que l'on peut conserver à jamais. Or, qui oserait dire que l'âme du menteur est juste? On définit avec raison la passion : une convoitise de l'âme qui lui fait préférer les biens temporels aux biens éternels. Donc personne ne pourra prouver qu'il est quelquefois permis de mentir sans démontrer en même temps qu'on peut obtenir quelque bien éternel par le mensonge. Mais comme on s'éloigne de l'éternité à mesure qu'on s'éloigne de la vérité, ce serait le comble de l'absurdité de dire que l'on peut arriver par là à quelque chose de bien : ou s'il existe un genre de bien éternel qui n'embrasse pas la vérité, il n'est pas vrai; et s'il n'est pas vrai, ce n'est plus un bien. Or, comme il faut préférer l'âme au corps, il faut aussi préférer la vérité à l'âme-; il faut que l'âme tienne plus à la vérité qu'à son corps et plus qu'à elle-même. Elle sera en effet plus pure et plus chaste par la possession de ce qui est immuable, qu'en s'appuyant sur sa propre mobilité. Si Loth qui était juste au point de mériter d'avoir des anges pour hôtes, livra ses filles à l'infâme passion des habitants de Sodome, préférant voir le déshonneur tomber sur des femmes que sur des hommes1; combien plus de zèle, combien plus de fermeté doit-on mettre à maintenir la chasteté de l'âme dans la vérité, puisqu'il est bien plus conforme à la vérité de préférer l'âme au corps, qu'un corps d'homme à un corps de femme?
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Gen. XIX, 8. ↩