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De toute cette discussion, il résulte que le sens de ces témoignages de l'Ecriture est qu'il ne faut jamais mentir, puisqu'on ne trouve dans la conduite et les actions des saints aucun exemple de mensonge qu'on puisse imiter, au moins dans les parties de l'Ecriture qui ne contiennent pas de sens figuré, comme par exemple les Actes des apôtres. Car les paroles du Seigneur mentionnées dans l'Evangile, et que les ignorants pourraient prendre pour des mensonges, sont des paroles figurées. Quant à ce que dit l'Apôtre : « Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous1 », cela n'indique aucune disposition à mentir, mais un sentiment de compassion, une charité si grande qu'elle le faisait agir avec ceux qu'il voulait sauver comme s'il eût lui-même souffert du mal dont il désirait les guérir.
Il ne faut donc pas mentir dans l'enseignement de la vérité ; car c'est un grand crime, la première espèce de mensonge et la plus détestable. Il ne faut pas mentir de la seconde manière, parce qu'il ne faut faire de tort à personne; ni de la troisième, parce qu'il ne faut pas rendre service à l'un au détriment de l'autre; ni de la quatrième, parce que le plaisir de mentir est vicieux par lui-même; ni de la cinquième, parce que, comme on ne doit pas même dire la vérité pour plaire aux hommes, encore bien moins doit-on proférer le mensonge qui est coupable par lui-même parce qu'il est mensonge; ni de la sixième, car il n'est pas juste d'altérer la vérité du témoignage pour le bien temporel ou la vie de qui que ce soit. De plus on ne doit conduire personne au salut éternel à l'aide du mensonge; il ne faut pas qu'un homme soit converti à la vertu par le vice de celui qui le convertit, car, après sa conversion , il doit lui-même tenir à l'égard des autres la conduite qu'on a tenue envers lui; par conséquent ce n'est plus au bien, mais au mal qu'on le convertit, quand on lui donne à imiter après sa conversion le modèle qu'on lui a présenté pour sa conversion. Il ne faut pas mentir de la septième manière, parce qu'on ne doit pas préférer l'avantage ou la vie temporelle de quelqu'un à la perfection de la foi. Si nos bonnes actions faisaient une mauvaise impression sur le prochain, jusqu'à le rendre pire et à l'éloigner de la piété, nous ne devrions cependant pas nous en abstenir pour autant, parce qu'il faut avant tout tenir solidement au point où nous devons appeler et attirer ceux que nous aimons comme nous-mêmes. Il faut se pénétrer vaillamment de cette pensée de l'Apôtre : « Nous sommes aux uns odeur de vie pour la vie, aux autres odeur de mort pour la mort; or, qui est capable d'un tel ministère2 ? » Enfin, il ne faut pas mentir de la huitième manière, parce que la chasteté de l'âme, qui est la pudeur du corps, compte parmi les biens; et que, parmi les maux, celui que nous faisons est plus grand que celui que nous laissons faire. Or, dans ces huit espèces de mensonges, on pèche d'autant moins qu'on s'approche plus de la huitième , et d'autant plus qu'on s'approche plus de la première. Mais s'imaginer qu'il peut y avoir un mensonge exempt de péché, c'est se tromper grossièrement en se figurant qu'on peut honnêtement tromper les autres.