36.
Cependant,comme nous sommes hommes,, que nous vivons parmi les hommes, et que je ne suis pas encore, j'en fais" l'aveu, du nombre de ceux qui n'ont pas de scrupules à l'endroit du péché de compensation : souvent je suis dominé par la sensibilité propre à notre nature, et j'ai peine à me tenir ferme quand on me dit : Voilà un homme gravement malade, et qui n'a déjà plus la force d'apprendre la mort d'un fils unique et très-aimé. Il te demande si cet enfant vit encore et tu sais qu'il n'est plus. Que lui répondras-tu quand, des trois réponses que tu peux faire : Il est mort, ou il vit, ou je n'en sais rien, il n'y en a qu'une qu'il n'interprétera pas en ce sens que son fils est mort, que tu le sais, que tu crains de le dire et que tu ne veux pas mentir ? Et quand tu garderais le silence, le résultat serait le même. Or de ces trois réponses, deux sont fausses, à savoir : Il vit, et : Tu n'en sais rien. Or tu ne peux les faire sans mentir. Mais si tu fais la troisième, la seule vraie: Il est mort, et qu'elle trouble le malade au point de lui donner le coup mortel, on t'accusera hautement de l'avoir tué. Et qui pourrait supporter d'entendre les hommes démontrer, à travers mille exagérations, combien on est coupable de se refuser à un mensonge qui peut donner la vie, pour s'attacher à la vérité qui peut donner la mort? Ces objections m'ébranlent vivement, mais je m'étonnerais que cette émotion fût raisonnable, sage. En effet, quand je mets, d'une façon quelconque, sous les yeux de mon âme, cette beauté intellectuelle, dont la bouche ne profère jamais rien de faux, bien que l'éclat toujours croissant des rayons de la vérité éblouisse ma faiblesse et me force à baisser la paupière; cependant je suis tellement enflammé d'ardeur pour cette splendeur magnifique, que je rejette avec mépris tous les motifs humains qui pourraient m'en éloigner. Mais c'est beaucoup que cette affection soit assez durable pour résister à la tentation. Or, quand je contemple cette bonté lumineuse, où. le mensonge ne jette pas les moindres ténèbres, peu m'importe qu'on appelle la vérité homicide,parce que je ne veux pas mentir et que ma réponse vraie occasionnera la mort d'un homme. Quoi, si une femme impudique te sollicite au déshonneur, que tu refuses et que le trouble de sa folle passion cause sa mort, quoi ! dira-t-on aussi que la chasteté est homicide ? Et quand nous lisons: « Nous sommes une bonne odeur du Christ en tout lieu, à l'égard de ceux qui se sauvent, et à l'égard de ceux qui périssent; aux uns odeur de vie pour la vie, mais aux autres odeur de mort pour la mort»; quand nous lisons cela, appellerons-nous aussi homicide l'odeur du Christ? Mais parce que nous sommes hommes, et que dans les questions et les épreuves de ce genre, nous sommes le plus souvent troublés et dominés par le sens humain, l'apôtre s'écrie aussitôt: « Or qui est capable d'un tel ministère1 ? »
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II Cor. II, 15, 16. ↩