CHAPITRE XVI. C'EST EXERCER UN MINISTÈRE A L'ÉGARD DES SAINTS QUE DE LEUR FOURNIR LES CHOSES NÉCESSAIRES A LA VIE CORPORELLE EN RETOUR DES BIENS SPIRITUELS. — QUE LES SERVITEURS DE DIEU OBÉISSENT A PAUL EN TRAVAILLANT ; ET LES BONS CHRÉTIENS AUSSI, EN POURVOYANT A LEURS BESOINS.
17. Ainsi, tenant compte soit des occupations des serviteurs de Dieu, soit des infirmités corporelles dont ils ne peuvent être absolument exempts, l'Apôtre non-seulement permet, mais conseille fort à propos aux vrais fidèles de suppléer à tous leurs besoins.
Ne parlons plus, en effet, de ce droit dont l'Apôtre témoigne n'avoir point usé, mais dont il impose la charge aux fidèles, en disant « Que celui qui reçoit la sainte instruction de « la parole, assiste en tout bien celui qui l’instruit1 ». Non, ne parlons plus de ce droit tant de fois invoqué par saint Paul au profit des prédicateurs de l'Evangile, sur ceux qui reçoivent la prédication.
Il s'agit maintenant des saints de l'église de Jérusalem, de ces fidèles qui avaient vendu et distribué tous leurs biens, et qui dès lors habitaient cette cité dans une sainte communauté de vie, sans jamais plus parler de propriété privée, n'ayant plus en Dieu qu'un seul cœur et une seule âme2. C'est pour ces simples fidèles que saint Paul réclame le nécessaire; c'est leur cause qu'il plaide auprès des églises des Gentils. Tel est le sens de ce passage de l’Epître aux Romains : « Maintenant je m'en vais à Jérusalem porter aux saints quelques aumônes. Car les églises de Macédoine et d'Achaïe ont résolu avec beaucoup d'affection de faire quelque a part de leurs biens à ceux d'entre les saints de Jérusalem qui sont pauvres. Oui, elles l'ont résolu, et, de fait, elles leur sont redevables. Car, si les Gentils ont participé à leurs richesses spirituelles, elles doivent aussi leur faire part de leurs biens temporels3 ».
Ce passage ressemble à celui où il dit aux Corinthiens : « Si nous avons jeté chez vous les semences des biens spirituels, est-ce donc merveille que nous moissonnions vos biens charnels4 ? »
Et de même dans la seconde épître aux mêmes Corinthiens : « Mais il faut, mes frères, que je vous fasse savoir la grâce de Dieu envers les églises de Macédoine. C'est que leur joie s'est d'autant plus redoublée, qu'ils ont été éprouvés par de plus grandes afflictions ; et que leur profonde pauvreté a répandu avec abondance les richesses de leur charité sincère. Car, je leur rends ce témoignage, qu'ils se sont portés d'eux-mêmes à donner autant qu'ils pouvaient, et même au-delà de ce qu'ils pouvaient ; nous conjurant, avec beaucoup de prières, de recevoir l'aumône qu'ils offraient pour prendre part à l’assistance destinée aux saints. Et ils n'ont pas fait seulement en cela ce que nous avions a espéré d'eux, mais ils se sont donnés eux-mêmes premièrement au Seigneur et puis à nous par la volonté de Dieu. C'est ce qui nous a porté à supplier Tite que, comme il a déjà commencé, il achève aussi de vous rendre parfaits en cette grâce, et que, comme vous êtes riches en toutes choses, en foi, en paroles, en science, en toutes a sortes de soins, et en l'affection que vous nous portez, vous le soyez aussi en cette sorte de grâce. Ce que je ne vous dis pas néanmoins pour vous imposer une loi, mais seulement pour vous porter, par l'exemple de l'ardeur des autres, à donner des preuves de votre charité sincère. Car vous savez quelle a été la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, étant riche, s'est rendu pauvre pour l'amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté. C'est ici un conseil que je vous donne, parce que cela vous est utile, et que vous n'avez pas seulement commencé les premiers à faire cette charité, mais que vous en avez de vous-mêmes formé le dessein dès l'année passée. Achevez donc maintenant ce que vous avez commencé de faire dès lors, afin que comme vous avez une si prompte volonté d'assister vos frères, vous les assistiez aussi effectivement de ce que vous avez. Car lorsqu'un homme a une grande volonté de donner, Dieu la reçoit, ne demandant de lui que ce qu'il peut, et non ce qu'il ne peut pas. Ainsi je n'entends pas que les autres soient soulagés, et que vous soyez surchargés; mais que, pour ôter l'inégalité, votre abondance supplée maintenant à leur pauvreté, afin que votre pauvreté soit soulagée un jour par leur abondance, et qu'ainsi tout soit réduit à l'égalité, selon ce qui est écrit de la manne : celui qui en recueillit beaucoup n'en eut pas plus que les autres ; et celui qui en recueillit peu n'en eut pas moins. Or, je rends grâces à Dieu de ce qu'il a mis au coeur de Tite la même sollicitude que j'ai pour vous. Car non-seulement il a bien reçu la prière que je lui ai faite ; mais s'y étant porté avec encore plus d'affection par lui-même, il est parti de son propre mouvement pour vous aller voir. Nous avons envoyé aussi avec lui notre frère, qui est devenu célèbre par l'Evangile dans toutes les églises; et qui de plus, a été choisi par les églises pour nous accompagner dans nos voyages, et prendre part au soin que nous avons de procurer cette assistance à nos frères, pour la gloire du Seigneur, et pour seconder notre bonne volonté; et notre dessein en cela a été d'éviter que personne ne puisse nous rien reprocher sur cette aumône abondante, dont nous sommes les dispensateurs. Car nous tâchons de faire le bien avec tant de circonspection, qu'il soit approuvé non-seulement de Dieu, mais aussi des hommes5 ».
Ces paroles nous montrent, d'abord jusqu'à l'évidence, combien l'Apôtre voulait imposer aux saintes populations une large sollicitude en faveur des dignes serviteurs de Dieu et assurer à ceux-ci le nécessaire. C'est un simple conseil qu'il donne, parce que cette charité profite plus à ceux qui la font qu'à ceux qui la reçoivent. Et cependant, ces derniers ont d'autres avantages de leur côté : ainsi, un saint usage de ce don généreux de leurs frères, l'attention à ne point servir Dieu en vue de cette aumône, la précaution de ne l'accepter que comme supplément à un état nécessiteux et non comme un encouragement à la paresse. — Mais ces paroles, aussi, nous révèlent la sollicitude personnelle à saint Paul, son scrupule dans ce ministère de charité. Non content d'envoyer cette offrande par Tite, il rappelle que lui-même veut avoir un compagnon de ses voyages, choisi pour ce ministère parles Eglises, un homme de probité reconnue, un homme de Dieu « dont la louange en l'Evangile, ajoute-t-il, retentit dans toutes les Eglises ». Et il s'est fait choisir ce compagnon, dit-il, pour éviter la critique des hommes qui, sans ce témoignage de ses saints coassociés dans ce ministère, pourraient le faire passer aux yeux des faibles et des impies comme recevant pour son propre compte, comme s'attribuant personnellement ce qu'il recevait pour suppléer aux nécessités des saints, au lieu de le porter et de le distribuer aux indigents.
18. Il dit un peu plus loin : « Il serait superflu de vous écrire davantage touchant à cette assistance qui se prépare pour les saints de Jérusalem. Car je sais avec quelle affection vous vous y portez; et c'est aussi ce qui me donne lieu de me glorifier de vous devant les Macédoniens, leur disant que la province d'Achaïe était disposée à faire cette charité dès l'année passée; et votre exemple a excité le même zèle dans l'esprit de plusieurs. C'est pourquoi j'ai envoyé nos frères vers vous, afin que ce ne soit pas en vain que je me sois loué de vous en ce point, et qu'on vous trouve tout prêts, selon l'assurance que j'en ai donnée; de peur que si ceux de Macédoine, qui viendront avec moi, trouvaient que vous n'eussiez rien préparé, ce ne fût à nous, pour ne pas dire à vous-mêmes, un sujet de confusion dans cette conjoncture, de nous être loués de vous. C'est ce qui m'a fait juger nécessaire de prier nos frères d'aller vous trouver avant moi, afin qu'ils aient soin que la charité, que vous avez promis de faire, soit toute prête, avant notre arrivée; mais de telle sorte que ce soit un don offert par la charité, et non arraché à l'avarice. Or, je vous avertis, mes frères, que celui qui sème peu moissonnera peu ; et que celui qui sème avec abondance moissonnera aussi avec abondance. Ainsi que chacun donne ce qu'il aura résolu en lui-même de donner, non avec tristesse, ni comme par force; car Dieu aime celui qui donne avec joie6. Et Dieu est tout-puissant pour vous combler de toute grâce; afin qu'ayant en tout temps et en toutes choses tout ce qui suffit pour votre subsistance, vous ayez abondamment de quoi exercer toutes sortes de bonnes oeuvres, selon ce qui est écrit : Le juste distribue son bien; il donne aux pauvres; sa justice demeure éternellement7. Dieu qui donne la semence à celui qui sème vous donnera le pain dont vous avez besoin pour vivre, et multipliera ce que vous aurez semé, et fera croître de plus en plus les fruits de votre justice; afin que vous soyez riches en tout, pour exercer avec un coeur simple toutes sortes de charités; ce qui nous donne sujet de rendre à Dieu de grandes actions de grâces. Car cette oblation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints, mais elle est riche et abondante par le grand nombre d'actions de grâces qu'elle fait rendre à Dieu; parce que ces saints, recevant ces preuves de votre libéralité, par notre ministère, se portent à glorifier Dieu de la soumission que vous témoignez à l'Evangile de Jésus-Christ; et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres : et de plus elle est riche et abondante par les prières qu'ils font pour vous, et par l'amour qu'ils vous gardent à cause des grâces éminentes que vous avez reçues de Dieu. Dieu soit loué de son ineffable don8 ».
Quelle pleine onction de sainte allégresse parfume le coeur de l'Apôtre, lorsqu'il parle de cet échange de secours par lesquels l'armée du Christ et son peuple pourvoient à leurs mutuels besoins, se renvoyant l'une à l'autre les biens du corps et les biens de l'âme ! Avec quelle force éclate le cri de joies saintes, dans ces paroles : « Grâces soient rendues à Dieu pour ce don inénarrable ».
19. Ainsi, d'abord, l'Apôtre, disons mieux, l'Esprit-Saint qui possédait, remplissait et dirigeait son coeur, n'a pas cessé d'adresser aux chrétiens qui jouiraient de quelque aisance dans le monde, une pressante exhortation. C'est de ne laisser jamais manquer de nécessaire ceux d'entre les serviteurs de Dieu qui, voulant occuper dans l'Eglise un plus haut rang de sainteté, auraient brisé tous les liens des espérances du siècle, et consacré à la milice de Dieu leur âme désormais affranchie. — Par contre, les hommes ainsi voués obéiront aussi aux leçons de saint Paul: il leur impose la compassion pour les faibles; le devoir de briser avec l'amour du bien personnel pour travailler de leurs plains au bien commun, et l'obéissance sans murmure à leurs supérieurs. Enfin, dans les offrandes des fidèles vertueux, ils ne verront qu'un supplément à leur propre travail, aux labeurs qu'ils s'imposeront pour gagner leur vie; car il peut leur rester des besoins encore, à raison des faiblesses physiques de quelques-uns d'entr'eux, ou bien à cause de leurs occupations ecclésiastiques et de l'étude nécessaire des saintes doctrines.