CHAPITRE VII. LA FACULTÉ DE NE POINT TRAVAILLER, ACCORDÉE AUX APÔTRES, DOIT S'ENTENDRE DU TRAVAIL CORPOREL.
8. Mais revenons plutôt à la suite de ses idées; étudions avez soin tout le passage de son épître : « N'avons-nous pas, dit-il, la permission de manger et de boire? N'avons-nous pas la permission de mener partout avec nous une femme-sœur1? » De quelle permission parle l'Apôtre? N'est-ce pas uniquement de celle que le Seigneur a octroyée à ceux qu'il envoie prêcher le royaume des cieux, quand il leur dit : « Mangez de ce qu'il y a chez eux; car l'ouvrier mérite son salaire », et quand il se propose lui-même comme exemple dans l'exercice de ce droit, puisque des femmes très-pieuses aidaient de leur fortune à lui procurer le nécessaire2 ?
Saint Paul a fait plus ; il démontre, par la pratique de ses collègues dans l'apostolat, la réalité de cette permission accordée par le Seigneur. Car s'il ajoute : « Ainsi agissent et tous les autres apôtres; et les frères du Seigneur et Céphas3 » ; ce n'est pas pour les blâmer, mais pour faire voir que lui-même a refusé ce qu'il lui était permis d'accepter; l'usage contraire de ses compagnons dans la sainte milice en est une preuve. « Est-ce que seuls, Barnabé et moi, nous n'avons pas le pouvoir de ne pas travailler ? » Voilà une réflexion qui ne laisse pas le moindre doute aux esprits même les plus bornés, sur l'usage dont il veut parler. Car pourquoi dit-il : « Est-ce que seuls, Barnabé et moi, nous n'avons pas le droit de ne pas travailler? »sinon parce que tous les prédicateurs de l'Evangile et les ministres de la parole de Dieu avaient un droit et le tenaient du Seigneur même, oui, le droit de ne point travailler de leurs mains, mais de vivre de l'Evangile même, en s'occupant exclusivement du travail spirituel que leur imposait la prédication du royaume des cieux, et l'établissement du pacifique empire de l'Eglise ?
Dira-t-on que le seul travail spirituel est désigné par ces paroles de l'Apôtre : « Seuls, Barnabé et moi, n'aurions-nous pas le droit de ne pas travailler? » Non ; car tous les autres apôtres avaient ce même pouvoir de ne pas travailler : par suite, vous, si ingénieux à corrompre et à pervertir les maximes apostoliques au profit de votre opinion, dites, oui, dites, si vous l'osez, que tous les ministres de l'Evangile avaient reçu du Seigneur le pouvoir de ne pas prêcher l'Evangile !
Que si une assertion pareille n'est qu'un trait de souveraine absurdité et de haute folie, pourquoi refusez-vous de comprendre ce qui saute aux yeux de tous, à savoir que le pouvoir accordé aux apôtres de ne pas travailler, s'entend seulement des travaux corporels nécessaires à leur subsistance; parce que, d'après l'Evangile : « L'ouvrier mérite son salaire ».
Donc, Paul et Barnabé n'étaient pas les seuls qui eussent la permission de ne pas travailler; ce pouvoir appartenait à tous leurs collègues; seulement eux-mêmes n'en usaient point, dépensant ainsi pour l'Eglise une surabondance de dévouement et se mettant à la portée des faibles d'après la connaissance des lieux où ils prêchaient l'Evangile.
Aussi bien, afin de ne pas paraître blâmer ses collègues dans l'apostolat, saint Paul s'empresse d'ajouter : « Qui est-ce qui va jamais à la guerre à ses dépens? qui est-ce qui plante une vigne et n'en mange point le fruit? ou qui est-ce qui mène paître un troupeau, et n'en mange point le lait? Ce que je dis ici n'est-il qu'un raisonnement humain? La loi même ne le dit-elle pas aussi ? Car il est écrit dans la loi de Moïse : Vous ne tiendrez point la bouche liée au boeuf qui foule les grains. Dieu se met-il en peine de ce qui regarde les bœufs? Et n'est-ce pas plutôt pour nous-mêmes qu'il a fait cette ordonnance? Oui, sans doute, c'est pour nous que cela a été écrit. En effet, celui qui laboure doit labourer avec espérance de participer aux fruits de la terre : et aussi celui qui bat le grain doit le faire avec espérance d'y avoir part4 ».
Ces réflexions prouvent assez la pensée de saint Paul. D'après lui, ses collègues n'ont point exigé plus que leur dû, en se dispensant des travaux corporels qui leur auraient procuré le nécessaire de la vie présente. Au contraire, conformément à la règle de Jésus-Christ, ils ont vécu de l'Evangile et mangé gratuitement le pain de ceux auxquels ils dispensaient gratuitement la grâce divine. Soldats, ils touchaient leur solde; vignerons, ils cueillaient librement, autant qu'il leur en fallait, des fruits de la vigne plantée par leurs mains; le troupeau par eux nourri leur épanchait son lait; la gerbe foulée par eux leur procurait le pain.