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Œuvres Augustin d'Hippone (354-430)

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La cité de dieu

CHAPITRE XLI.

LES ÉCRIVAINS CANONIQUES SONT AUTANT D’ACCORD ENTRE EUX QUE LES PHILOSOPHES LE SONT PEU.

Mais laissons les historiens pour demander aux philosophes, qui semblent n’avoir eu d’autre but dans leurs études que de trouver le moyen d’arriver à la félicité, pourquoi ils ont eu tant d’opinions différentes, sinon parce qu’ils ont procédé dans cette recherche comme des hommes et par des raisonnements humains ? Je veux que la vaine gloire ne les ait pas tous déterminés à se départir de l’opinion d’autrui, afin de faire éclater la supériorité de leur sagesse et de leur génie et d’avoir une doctrine en propre; j’admets que quelques-uns, et même un grand nombre, n’aient été animés que de l’amour de la vérité; que peut la misérable prudence des hommes pour parvenir à la béatitude, si elle n’est guidée par une autorité divine? Voyez nos auteurs, à qui l’on attribue justement une autorité canonique : il n’y a pas entre eux la moindre différence de sentiment. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner qu’on les ait crus inspirés de Dieu, et que cette créance, au lieu de se renfermer entre un petit nombre de personnes disputant dans une école, se soit répandue parmi tant de peuples , dans les champs comme dans les villes, parmi les savants comme parmi les ignorants. Du reste, il ne fallait pas qu’il y eût beaucoup de prophètes, de peur que leur grand nombre n’avilît ce que la religion devait consacrer, et, d’un autre côté, ils devaient être en assez grand nombre pour que leur parfaite conformité fût un sujet d’admiration. Lisez cette multitude de philosophes dont nous avons les ouvrages; je ne crois pas qu’on en puisse trouver deux qui soient d’accord en toutes choses; mais je ne veux pas trop insister là-dessus, de peur de trop longs développements. Je de.. manderai cependant si jamais cette cité terrestre, abandonnée au culte des démons, a tellement embrassé les doctrines d’un chef d’école qu’elle ait condamné toutes les autres? N’a-t-on pas vu en vogue dans la même ville d’Athènes, et les Epicuriens qui soutiennent que les dieux ne prennent aucun soin des choses d’ici-bas, et les Stoïciens qui veulent au contraire que le monde soit gouverné et maintenu par des divinités protectrices? Aussi, je m’étonne qu’Anaxagoras ait été condamné pour avoir dit que le soleil était une pierre enflammée et non pas un dieu1, tandis qu’Epicure a vécu en tout honneur et toute sécurité dans la même ville, quoiqu’il ne niât pas seulement la divinité du soleil et des autres astres, mais qu’il soutînt qu’il n’y avait ni Jupiter ni aucune autre puissance dans le monde à qui les hommes dussent adresser leurs voeux2. N’est-ce pas à Athènes qu’Aristippe3 mettait le souverain bien dans la volupté du corps, au lieu qu’Antisthène4 le plaçait dans la vigueur de l’âme, tous deux philosophes célèbres, tous deux disciples de Socrate, et qui pourtant faisaient consister la souveraine félicité en des principes si opposés? De plus, le premier disait que le sage doit fuir le gouvernement de la république, et le second, qu’il y doit prétendre, et tous deux avaient des sectateurs. Chacun combattait avec sa troupe pour son opinion; car on discutait au grand jour, sous le vaste et célèbre Portique5, dans les gymnases, dans les jardins, dans les lieux publics, comme dans les demeures particulières. Les uns soutenaient qu’il n’y a qu’un monde6, les autres qu’il y en a plusieurs7; les uns que le monde a commencé, les autres qu’il est sans commencement; les uns qu’il doit finir, les autres qu’il durera toujours; ceux-ci qu’il est gouverné par une providence, ceux-là qu’il n’a d’autre guide que la fortune et le hasard. Quelques-uns voulaient que l’âme de l’homme fût immortelle, d’autres la faisaient mortelle; et de ceux qui étaient pour l’immortalité, les uns8 disaient que l’âme passe dans le corps des bêtes par certaines révolutions, les autres rejetaient ce sentiment; parmi ceux au contraire qui la faisaient mortelle, les uns prétendaient qu’elle meurt avec le corps, les autres qu’elle vit après, plus ou moins de temps, mais qu’à la fin elle meurt9. Celui-ci mettait le souverain bien dans le corps, celui-là dans l’esprit, un troisième dans tous les deux, tel autre y ajoutait les biens de la fortune10. Quelques-uns disaient qu’il faut toujours croire le rapport des sens, les autres pas toujours, les autres jamais11.

Quel peuple, quel sénat, quelle autorité publique de la cité de la terre s’est jamais mise en peine de décider entre tant d’opinions différentes, pour approuver les unes et condamner les autres? Ne les a-t-elle pas reçues toutes indifféremment, quoiqu’il s’agisse en tout ceci, non pas de quelque morceau de terre ou de quelque somme d’argent, mais des choses les plus importantes, de celles qui décident du malheur ou de la félicité des hommes? Car, bien qu’on enseignât dans les écoles des philosophes quelques vérités, l’erreur s’y débitait aussi en toute licence; de sorte que ce n’est pas sans raison que cette cité se nomme Babylone, c’est-à-dire confusion. Et il importe peu au diable, qui en est le roi, que les hommes soient dans des erreurs contraires, puisque leur impiété les rend tous également ses esclaves.

Mais il en est tout autrement de ce peuple, de cette cité, de ces Israélites à qui la parole de Dieu a été confiée; ils n’ont jamais confondu les faux prophètes avec les véritables, reconnaissant pour les auteurs des Ecritures sacrées ceux qui étaient en tout parfaitement d’accord. Ceux-là étaient leurs philosophes, leurs sages, leurs théologiens, leurs prophètes, leurs docteurs. Quiconque a vécu selon leurs maximes n’a pas vécu selon l’homme, mais selon Dieu qui parlait en eux. S’ils défendent l’impiété12, c’est Dieu qui la défend. S’ils commandent d’honorer son père et sa mère13,c’est Dieu qui le commande. S’ils disent: « Vous ne serez point adultère, ni homicide, ni « voleur14», ce sont autant d’oracles du ciel. Toutes les vérités qu’un certain nombre de philosophes ont aperçues parmi tant d’erreurs, et qu’ils ont tâché de persuader avec tant de peine, comme par exemple, que c’est Dieu qui a créé le monde et qui le gouverne par sa providence, tout ce qu’ils ont écrit de la beauté de la vertu, de l’amour de la patrie, de l’amitié, des bonnes oeuvres et de toutes les choses qui concernent les moeurs, ignorant au surplus et la fin où elles doivent tendre et le moyen d’y parvenir, tout cela, dis-je, a été prêché aux membres de la Cité du ciel par la bouche des prophètes, sans arguments et sans disputes, afin que tout homme initié à ces vérités ne les regardât pas comme des inventions de l’esprit humain, mais comme la parole de Dieu même.


  1. Cléon le démagogue se porta l’accusateur d’Anaxagore, qui fut défendu par Périclès, son disciple et son ami. Voyez Diogène Laerce, lib. II, § 12 et 13. ↩

  2. Saint Augustin paraît oublier qu’entre Anaxagore et Epicure deux siècles se sont écoulés ↩

  3. Aristippe, de Cyrène, vint à Athènes où il entendit Socrate. Il se sépara de son maître pour fonder l’école dite Cyrénaïque, berceau de l’école épicurienne. ↩

  4. Antisthène est le chef de cette école cynique tant et si justement discréditée par les folie, de ses adeptes, mais qui m’en garde pas moins l’honneur d’avoir légué au stoïcisme quelques-uns de ses plus mâles préceptes. ↩

  5. Ce portique est celui où Zénon de Cittium, le fondateur de l’école stoïcienne, réunissait ses disciples.  ↩

  6. C’est l’opinion des Stoïciens. ↩

  7. C’est l’opinion des Epicuriens ↩

  8. C’est la doctrine pythagoricienne, adoptée dans une certaine mesure par quelques platoniciens, rejetée par d’autres. ↩

  9. Sur ces divers systèmes, voyez Cicéron, Tusculanes, livre I. ↩

  10. Les Stoïciens plaçaient le souverain bien dans l’âme, les Epicuriens dans le corps, les Péripatéticiens dans tous les deux. ↩

  11. Toujours croire aux sens, c’est le sentiment d’Epicure; y croire quelquefois, c’est le sentiment des Péripatéticiens et des Stoïciens; n’y croire jamais d’une manière absolue, c’est le sentiment commun de l’école pyrrhonienne et de la nouvelle Académie. ↩

  12. Exod. XX, 3.  ↩

  13. Ibid. 12. ↩

  14. Ibid. 13. ↩

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The City of God

Chapter 41.--About the Discord of Philosophic Opinion, and the Concord of the Scriptures that are Held as Canonical by the Church.

But let us omit further examination of history, and return to the philosophers from whom we digressed to these things. They seem to have labored in their studies for no other end than to find out how to live in a way proper for laying hold of blessedness. Why, then, have the disciples dissented from their masters, and the fellow-disciples from one another, except because as men they have sought after these things by human sense and human reasonings? Now, although there might be among them a desire of glory, so that each wished to be thought wiser and more acute than another, and in no way addicted to the judgment of others, but the inventor of his own dogma and opinion, yet I may grant that there were some, or even very many of them, whose love of truth severed them from their teachers or fellow-disciples, that they might strive for what they thought was the truth, whether it was so or not. But what can human misery do, or how or where can it reach forth, so as to attain blessedness, if divine authority does not lead it? Finally, let our authors, among whom the canon of the sacred books is fixed and bounded, be far from disagreeing in any respect. It is not without good reason, then, that not merely a few people prating in the schools and gymnasia in captious disputations, but so many and great people, both learned and unlearned, in countries and cities, have believed that God spoke to them or by them, i.e. the canonical writers, when they wrote these books. There ought, indeed, to be but few of them, lest on account of their multitude what ought to be religiously esteemed should grow cheap; and yet not so few that their agreement should not be wonderful. For among the multitude of philosophers, who in their works have left behind them the monuments of their dogmas, no one will easily find any who agree in all their opinions. But to show this is too long a task for this work.

But what author of any sect is so approved in this demon-worshipping city, that the rest who have differed from or opposed him in opinion have been disapproved? The Epicureans asserted that human affairs were not under the providence of the gods; and the Stoics, holding the opposite opinion, agreed that they were ruled and defended by favora ble and tutelary gods. Yet were not both sects famous among the Athenians? I wonder, then, why Anaxagoras was accused of a crime for saying that the sun was a burning stone, and denying that it was a god at all; while in the same city Epicurus flourished gloriously and lived securely, although he not only did not believe that the sun or any star was a god, but contended that neither Jupiter nor any of the gods dwelt in the world at all, so that the prayers and supplications of men might reach them! Were not both Aristippus and Antisthenes there, two noble philosophers and both Socratic? yet they placed the chief end of life within bounds so diverse and contradictory, that the first made the delight of the body the chief good, while the other asserted that man was made happy mainly by the virtue of the mind. The one also said that the wise man should flee from the republic; the other, that he should administer its affairs. Yet did not each gather disciples to follow his own sect? Indeed, in the conspicuous and well-known porch, in gymnasia, in gardens, in places public and private, they openly strove in bands each for his own opinion, some asserting there was one world, others innumerable worlds; some that this world had a beginning, others that it had not; some that it would perish, others that it would exist always; some that it was governed by the divine mind, others by chance and accident; some that souls are immortal, others that they are mortal,--and of those who asserted their immortality, some said they transmigrated through beasts, others that it was by no means so; while of those who asserted their mortality, some said they perished immediately after the body, others that they survived either a little while or a longer time, but not always; some fixing supreme good in the body, some in the mind, some in both; others adding to the mind and body external good things; some thinking that the bodily senses ought to be trusted always, some not always, others never. Now what people, senate, power, or public dignity of the impious city has ever taken care to judge between all these and other well-nigh innumerable dissensions of the philosophers, approving and accepting some, and disapproving and rejecting others? Has it not held in its bosom at random, without any judgment, and confusedly, so many controversies of men at variance, not about fields, houses, or anything of a pecuniary nature, but about those things which make life either miserable or happy? Even if some true things were said in it, yet falsehoods were uttered with the same licence; so that such a city has not amiss received the title of the mystic Babylon. For Babylon means confusion, as we remember we have already explained. Nor does it matter to the devil, its king, how they wrangle among themselves in contradictory errors, since all alike deservedly belong to him on account of their great and varied impiety.

But that nation, that people, that city, that republic, these Israelites, to whom the oracles of God were entrusted, by no means confounded with similar licence false prophets with the true prophets; but, agreeing together, and differing in nothing, acknowledged and upheld the authentic authors of their sacred books. These were their philosophers, these were their sages, divines, prophets, and teachers of probity and piety. Whoever was wise and lived according to them was wise and lived not according to men, but according to God who hath spoken by them. If sacrilege is forbidden there, God hath forbidden it. If it is said, "Honor thy father and thy mother," 1 God hath commanded it. If it is said, "Thou shall not commit adultery, Thou shall not kill, Thou shall not steal," 2 and other similar commandments, not human lips but the divine oracles have enounced them. Whatever truth certain philosophers, amid their false opinions, were able to see, and strove by laborious discussions to persuade men of,--such as that God had made this world, and Himself most providently governs it, or of the nobility of the virtues, of the love of country, of fidelity in friendship, of good works and everything pertaining to virtuous manners, although they knew not to what end and what rule all these things were to be referred,--all these, by words prophetic, that is, divine, although spoken by men, were commended to the people in that city, and not inculcated by contention in arguments, so that he who should know them might be afraid of contemning, not the wit of men, but the oracle of God.


  1. Ex. xx. 12. ↩

  2. Ex. xx. 13-15, the order as in Mark x. 19. ↩

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