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La cité de dieu
CHAPITRE XXVII.
CONTRE CEUX QUI CROIENT QU’ILS NE SERONT PAS DAMNÉS, QUOIQU’AYANT PERSÉVÉRÉ DANS LE PÉCHÉ, PARCE QU’ILS ONT PRATIQUÉ L’ AUMÔNE.
Nous n’avons plus réfuter qu’un dernier système, savoir, que le feu éternel ne sera que pour ceux qui négligent de racheter leurs péchés par de convenables aumônes, suivant cette parole de l’apôtre saint Jacques: « On « jugera sans miséricorde celui qui sera sans miséricorde1 ». Celui donc, disent-ils, qui a pratiqué la miséricorde, bien qu’il n’ait pas renoncé à sa mauvaise vie, sera jugé avec miséricorde, de sorte qu’il ne sera pas damné, mais délivré finalement de son supplice. Ils assurent que le discernement que Jésus-Christ fera entre ceux de sa droite et ceux de sa gauche, pour envoyer les uns au royaume de Dieu et les autres au supplice éternel, ne sera fondé que sur le soin qu’on aura mis ou non à faire des aumônes. Ils tâchent encore de prouver par l’Oraison dominicale, que les péchés qu’ils commettent tous les jours, quelque grands qu’ils soient, peuvent leur être remis en retour des oeuvres de charité, De même, disent-ils, qu’il n’y a point de jour où les chrétiens ne récitent cette oraison, il n’y a point de crime commis tous les jours qu’elle n’efface, à condition qu’en disant: « Pardonnez-nous nos offenses », nous ayons soin de faire ce qui suit: « Comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés2 ». Notre-Seigneur, ajoutent-ils, ne dit pas: Si vous pardonnez aux hommes les fautes qu’ils ont faites contre vous, votre Père vous pardonnera les péchés légers que vous commettrez tous les jours; mais il dit: « Il vous pardonnera vos péchés3 ». Ils estiment donc qu’en quelque nombre et de quelque espèce qu’ils soient, quand même on les commettrait tous les jours et quand on mourrait sans y avoir renoncé auparavant, les aumônes en obtiendront le pardon.
Certes, ils ont raison de vouloir que ce soient de dignes aumônes; car s’ils disaient que tous les crimes, en quelque nombre qu’ils soient, seront remis par toute sorte d’aumônes, ils seraient choqués eux-mêmes d’une proposition si absurde. En effet, ce serait dire qu’un homme très-riche, en donnant tous les jours quelques pièces de monnaie aux pauvres, pourrait racheter des homicides, des adultères, et les autres crimes les plus énormes. Si l’on ne peut avancer cela sans folie, reste à savoir quelles sont ces dignes aumônes capables d’effacer les péchés, et dont le précurseur même de Jésus-Christ entendait parler; quand il disait: « Faites de dignes fruits de pénitence4 ». On ne trouvera pas sans doute que ces dignes aumônes soient celles des gens qui commettent tous les jours des crimes. En effet, leurs rapines vont bien plus haut que le peu qu’ils donnent à Jésus-Christ en la personne des pauvres, afin d’acheter tous les jours de lui l’impunité de leurs actions damnables. D’ailleurs, quand fis donneraient tout leur bien aux membres de Jésus-Christ pour un seul crime, s’ils ne renonçaient à leurs désordres, touchés par cette charité dont il est dit que jamais elle ne fait le mal5, cette libéralité leur serait inutile. Que celui donc qui fait de dignes aumônes pour ses péchés commence à les faire envers lui-même. Il n’est pas raisonnable d’exercer envers le prochain une charité qu’on n’exerce pas envers soi, puisqu’il est écrit : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même6 »; et encore : « Ayez pitié de votre âme, en vous rendant agréable à Dieu7 ». Celui donc qui ne fait pas à son âme cette aumône afin de plaire à Dieu, comment peut-on dire qu’il fait de dignes aumônes pour ses péchés ? C’est pour cela qu’il est écrit : « A qui peut être bon celui qui est méchant envers lui-même8 ? » Car les aumônes aident les prières ; et c’est encore pourquoi il faut se rendre attentif à ces paroles: « Mon fils, vous avez péché, ne péchez plus, et priez Dieu qu’il vous pardonne vos péchés passés9 ». Nous devons donc faire des aumônes pour être exaucés, lorsque nous prions pour nos péchés passés, et non pour obtenir la licence de mal faire.
Or, Notre-Seigneur a prédit qu’il imputera à ceux qui seront à la droite les aumônes qu’ils auront faites, et à ceux qui seront à la gauche celles qu’ils auront manqué de faire, voulant montrer ce que peuvent les aumônes pour effacer les péchés commis, et non pour les commettre sans cesse impunément. Mais il ne faut pas croire que ceux qui ne veulent pas changer de vie fassent de véritables aumônes; car ce que Jésus-Christ même leur dit: « Quand vous avez manqué de rendre ces devoirs au moindre des miens, c’est à moi que vous avez manqué de les rendre10 », fait assez voir qu’ils ne les rendent pas, lors même qu’ils croient les rendre. En effet, quand ils donnent du pain à un chrétien qui a faim, s’ils le lui donnaient en tant qu’il est chrétien, certes, ils ne se refuseraient pas à eux-mêmes le pain de la justice, qui est Jésus-Christ; car Dieu ne regarde pas à qui l’on donne, mais dans quel esprit on donne. Ainsi, celui qui aime Jésus-Christ dans un chrétien lui fait l’aumône dans le même esprit où il s’approche de ce Sauveur, au lieu que les autres ne cherchent qu’à s’en éloigner, puisqu’ils n’aspirent qu’à jouir de l’impunité: or, on s’éloigne d’autant plus de Jésus-Christ qu’on aime davantage ce qu’il condamne. En effet, que sert-il d’être baptisé, si l’on n’est justifié? Celui qui a dit: « Si l’on ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, on ne saurait entrer dans le royaume de Dieu11 », n’a-t-il pas dit aussi : « Si votre justice n’est pas plus grande que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux12? » Pourquoi plusieurs courent-ils au baptême pour éviter le premier arrêt , et pourquoi si peu se mettent-ils en peine d’être justifiés pour éviter le second? De même que celui-là ne dit pas à son frère: Fou! qui, lorsqu’il lui dit cette injure, n’est pas en colère contre son frère, mais contre ses défauts, car, autrement, il mériterait l’enfer13, ainsi, celui qui donne l’aumône à un chrétien, et qui n’aime pas en lui Jésus-Christ, ne la donne pas à un chrétien. Or, celui-là n’aime pas Jésus-Christ qui refuse d’être justifié en Jésus-Christ; et comme il servirait de peu à celui qui appellerait son frère fou par colère, et sans songer à le corriger, de faire des aumônes pour obtenir le pardon de cette faute, à moins de se réconcilier avec lui, suivant ce commandement qui nous est fait au même lieu: « Lorsque vous faites votre offrande à l’autel, si vous vous souvenez d’avoir offensé votre frère, laissez là votre offrande, et allez auparavant vous réconcilier avec lui, et puis vous reviendrez offrir votre présent14 »; de même, il sert de peu de faire de grandes aumônes pour ses péchés, lorsqu’on demeure dans l’habitude du péché.
Quant à l’oraison de chaque jour que Notre-Seigneur lui-même nous a enseignée, d’où vient qu’on l’appelle dominicale, elle efface, il est vrai, les péchés de chaque jour, quand chaque jour on dit : « Pardonnez-nous nos offenses », et qu’on ne dit pas seulement, mais qu’on fait ce qui suit: « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés15»; mais on récite cette prière parce qu’on commet des péchés , et non pas pour en commettre. Notre Sauveur nous a voulu montrer par là que, quelque bonne vie que nous menions, dans les ténèbres et la langueur où nous sommes, nous commettons tous les jours des fautes pour lesquelles nous avons besoin de prier et de pardonner à ceux qui nous offensent, si nous voulons que Dieu nous pardonne. Lors donc que Notre-Seigneur dit: « Si vous pardonnez aux hommes les fautes qu’ils font contre vous, votre Père vous pardonnera aussi vos péchés16 », il n’a pas entendu nous donner une fausse confiance dans cette oraison pour commettre tous les jours des crimes, soit en vertu de l’autorité qu’on exerce en se mettant au-dessus des lois, soit par adresse en trompant les hommes ; mais il a voulu par là nous apprendre à ne pas nous croire exempts de péchés, quoique nous soyons exempts de crimes: avertissement que Dieu donna aussi autrefois aux prêtres de l’ancienne loi, en leur commandant d’offrir en premier lieu des sacrifices pour leurs péchés, et ensuite pour ceux du peuple17. Aussi bien, si nous considérons attentivement les paroles de notre grand et divin Maître, nous trouverons qu’il ne dit pas : Si vous pardonnez aux hommes les fautes qu’ils font contre vous, votre Père vous pardonnera aussi tous vos péchés, quels qu’ils soient; mais: « Votre Père vous pardonnera aussi vos péchés ». Il enseignait une prière de tous les jours, et parlait à ses disciples, qui étaient justes. Qu’est-ce donc à dire vos péchés, sinon ceux dont vous-mêmes, qui êtes justifiés et sanctifiés, ne serez pas exempts ? Nos adversaires, qui cherchent dans cette prière un prétexte pour commettre tous les jours des crimes , prétendent que Notre-Seigneur a voulu aussi parler des grands péchés, parce qu’il n’a pas dit: Il vous pardonnera les petits péchés, mais : Il vous pardonnera vos péchés. Nous, au contraire, considérant ceux à qui il parlait, et lui entendant dire vos péchés, nous ne devons entendre par là que les petits, parce que ses disciples n’en commettaient point d’autres ; mais les grands mêmes, dont il se faut entièrement défaire par une véritable conversion, ne sont pas remis par la prière, si l’on ne fait ce qui est dit au même endroit: « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Que si les fautes, même légères , dont les plus saints ne sont pas exempts en cette vie, ne se pardonnent qu’à cette condition , combien plus les crimes énormes, bien qu’on cesse de les commettre, puisque Notre-Seigneur a dit: « Mais si vous ne pardonnez pas les fautes qu’on commet contre vous, votre Père ne vous pardonnera pas non plus18 ». C’est ce que veut dire l’apôtre saint Jacques, lorsqu’il parle ainsi : «On jugera sans miséricorde celui qui aura été sans miséricorde19 ». On doit aussi se souvenir de ce serviteur, à qui son maître avait remis dix mille talents, qu’il l’obligea à payer ensuite, parce qu’il avait été inexorable envers un autre serviteur comme lui, qui lui devait cent deniers20. Ces paroles de l’Apôtre : « La miséricorde l’emporte sur la justice21 », s’appliquent à ceux qui sont enfants de la promesse et vases de miséricorde. Les justes mêmes, qui ont vécu dans une telle sainteté qu’ils reçoivent dans les tabernacles éternels ceux qui ont acquis leur amitié par les richesses d’iniquité22, ne sont devenus tels que par la miséricorde de celui qui justifie l’impie et qui lui donne la récompense selon la grâce, et non selon les mérites. Du nombre de ces impies justifiés est l’Apôtre, qui dit « J’ai obtenu miséricorde pour être fidèle23 »
Ceux qui sont ainsi reçus dans les tabernacles éternels, il faut avouer que, comme ils n’ont pas assez bien vécu pour être sauvés sans le suffrage des saints, la miséricorde à leur égard l’emporte encore bien plus sur la justice. Et néanmoins, on ne doit pas s’imaginer qu’un scélérat impénitent soit reçu dans les tabernacles éternels pour avoir assisté les saints avec des richesses d’iniquité, c’est-à-dire avec des biens mal acquis, ou tout au moins avec de fausses richesses, mais que l’iniquité croit vraies, parce qu’elle ne connaît pas les vraies richesses qui rendent opulents ceux lui reçoivent les autres dans les tabernacles éternels. Il y a donc un certain genre de vie qui n’est pas tellement criminel que les aumônes y soient inutiles pour gagner le ciel, ni tellement bon qu’il suffise pour atteindre un si grand bonheur, à moins d’obtenir miséricorde par les mérites de ceux dont on s’est fait des amis par les aumônes. A ce propos, je m’étonne toujours qu’on trouve, même dans Virgile, cette parole du Seigneur: « Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité, afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels24 », ou bien en d’autres termes : « Celui qui reçoit un prophète, en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète, et celui qui reçoit un juste, en qualité de juste, recevra la récompense du juste25 ». En effet, dans le passage où Virgile décrit les Champs-Elysées, que les païens croient être le séjour des bienheureux, non-seulement il y place ceux qui y sont arrivés par leurs propres mérites, mais encore :
« Ceux qui ont gravé leur nom dans la mémoire des autres par des services rendus26 ».
N’est-ce pas là ce mot que les chrétiens ont si souvent à la bouche, quand par humilité ils se recommandent à un juste : Sou venez-vous de moi, lui disent-ils, et ils cherchent par de bons offices à graver leur nom dans son souvenir? Maintenant si nous revenons à la question de savoir quel est ce genre de vie et quels sont ces crimes qui ferment l’entrée du royaume de Dieu, et dont néanmoins on obtient le pardon, il est très-difficile de s’en assurer et très-dangereux de vouloir le déterminer. Pour moi, quelque soin que j’y ai mis jusqu’à présent, je ne l’ai pu découvrir. Peut-être cela est-il caché, de peur que nous n’en devenions moins courageux à éviter les péchés qu’on peut commettre sans péril de damnation. En effet, si nous les connaissions, il se pourrait que nous ne nous fissions pas scrupule de les commettre, sous prétexte que les aumônes suffisent pour nous en obtenir le. pardon; au lieu que, ne les connaissant pas, nous sommes plus obligés de nous tenir sur nos gardes, et de faire effort pour avancer dans la vertu, sans toutefois négliger de nous faire des amis parmi les saints au moyen des aumônes.
Mais cette délivrance qu’on obtient ou par ses prières, ou par l’intercession des saints, ne sert qu’à empêcher d’être envoyé au feu éternel ; elle ne servira pas à en faire sortir, quand on y sera déjà. Ceux mêmes qui pensent que ce qui est dit dans l’Evangile de ces bonnes terres qui rapportent des fruits en abondance, l’une trente, l’autre soixante, et l’autre cent pour un, doit s’entendre des saints, qui, selon la diversité de leurs mérites, délivreront les uns trente hommes, les autres soixante, les autres cent27, ceux-là même croient qu’il en sera ainsi au jour du jugement, mais nullement après. On rapporte à ce sujet le mot d’une personne d’esprit qui, voyant les hommes se flatter d’une fausse impunité et croire que par l’intercession des saints tous les pécheurs peuvent être sauvés, répondit fort à propos qu’il était plus sûr de tâcher, par une bonne vie, d’être du nombre des intercesseurs, de peur que ce nombre soit si restreint qu’après qu’ils auront délivré l’un trente pécheurs, l’autre soixante, l’autre cent, il n’en reste encore un grand nombre pour lesquels ils n’auront plus le droit d’intercéder, et parmi eux celui qui aura mis vainement son espérance dans un autre. Mais j’ai suffisamment répondu à ceux qui, ne méprisant pas l’autorité de nos saintes Ecritures, mais les comprenant mal, y trouvent, non pas le sens qu’elles ont, mais celui qu’ils veulent leur donner. Notre réponse faite, terminons cet avant-dernier livre, comme nous l’avons annoncé.
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Jacques, II, 13. ↩
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Matt. VI, 12. ↩
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Ibid. 14. ↩
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Matt. III, 8. ↩
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I Cor. XIII, 4. ↩
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Matt. XXII, 39. ↩
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Eccli. XXX, 24. ↩
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Ibid, XIV, 5. ↩
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Eccli. XXI, 1. ↩
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Matt. XXV, 45. ↩
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Jean, III, 5. ↩
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Matt. V, 20. ↩
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Matt. V, 22. ↩
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Ibid. 23, 24. ↩
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Matt. VI, 12. ↩
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Matt. VI, 14. ↩
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Lévit. XVI, 6. ↩
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Matt. VI, 15. ↩
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Jacques, II, 13. ↩
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Matt. XVIII, 23 et seq. ↩
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Jacques, II, 13. ↩
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Voyez la parabole rapportée par saint Luc, XVI, 9. ↩
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I Cor. VII, 25. ↩
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Luc, XVI, 9. ↩
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Matt. X, 41. ↩
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Enéide , livre VI, vers 664. ↩
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Matt. XIII, 8. ↩
Edition
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De civitate Dei (CCSL)
Caput XXVII: Contra eorum persuasionem, qui putant sibi non obfutura peccata, in quibus, cum elemosynas facerent, permanserunt.
Restat eis respondere, qui dicunt aeterno igne illos tantummodo arsuros, qui pro peccatis suis facere dignas elemosynas neglegunt. propter illud quod ait apostolus Iacobus: iudicium autem sine misericordia illi, qui non fecit misericordiam. qui ergo fecit, inquiunt, quamuis non correxerit perditos mores, sed nefarie ac nequiter inter ipsas suas elemosynas uixerit, cum misericordia illi futurum est iudicium, ut aut non damnetur omnino aut post aliquod tempus a damnatione nouissima liberetur. nec ob aliud existimant Christum de solo dilectu atque neglectu elemosynarum discretionem inter dextros et sinistros esse facturum, quorum alios in regnum, alios in supplicium mittat aeternum. ut autem cottidiana sibi opinentur, quae facere omnino non cessant, qualiacumque et quantacumque sint, per elemosynas dimitti posse peccata, orationem, quam docuit ipse dominus, et suffragatricem sibi adhibere conantur et testem. sicut enim nullus est, inquiunt, dies, quo a Christianis haec oratio non dicatur, ita nullum est cottidianum qualecumque peccatum, quod per illam non dimittatur, cum dicimus: dimitte nobis debita nostra, si quod sequitur facere curemus: sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. non enim ait dominus, inquiunt: si dimiseritis peccata hominibus, dimittet uobis pater uester cottidiana parua peccata, sed: dimittet, inquit, uobis peccata uestra. qualiacumque ergo uel quantacumque sint, etiamsi cottidie perpetrentur nec ab eis uita discedat in melius commutata, per elemosynam ueniae non negatae remitti sibi posse praesumunt. sed bene, quod isti dignas pro peccatis elemosynas commonent esse faciendas; quoniam si dicerent qualescumque elemosynas pro peccatis et cottidianis et magnis et quantacumque scelerum consuetudine misericordiam posse inpetrare diuinam, ut ea cottidiana remissio sequeretur, uiderent se rem dicere absurdam atque ridiculam. sic enim cogerentur fateri fieri posse, ut opulentissimus homo decem nummulis diurnis in elemosynas inpensis homicidia et adulteria et nefaria quaeque facta redimeret. quod si absurdissimum atque insanissimum est dicere, profecto si quaeratur, quae dignae sint pro peccatis elemosynae, de quibus etiam Christi praecursor ille dicebat: facite ergo fructus dignos paenitentiae, procul dubio non inuenientur eas facere, qui uitam suam usque ad mortem cottidianorum criminum perpetratione confodiunt; primum, quia in auferendis rebus alienis longe plura diripiunt, ex quibus perexigua pauperibus largiendo Christum se ad hoc pascere existimant, ut licentiam malefactorum ab illo se emisse uel cottidie potius emere credentes securi damnabilia tanta committant. qui si pro uno scelere omnia sua distribuerent indigentibus membris Christi, nisi desisterent a talibus factis habendo caritatem, quae non agit perperam, aliquid eis prodesse non potest. qui ergo dignas pro suis peccatis elemosynas facit, prius eas facere incipit a se ipso. indignum est enim, ut in se non faciat, qui facit in proximum, cum audiat dicentem deum: diliges proximum tuum tamquam te ipsum; itemque audiat: miserere animae tuae placens deo. hanc elemosynam, id est, ut deo placeat, non faciens animae suae quomodo dignas pro peccatis suis elemosynas facere dicendus est? ad hoc enim et illud scriptum est: qui sibi malignus est, cui bonus erit? orationes quippe adiuuant elemosynae; et utique intuendum est quod legimus: fili, peccasti, ne adicias iterum et de praeteritis deprecare, ut tibi dimittantur. propter hoc ergo elemosynae faciendae sunt, ut, cum de praeteritis peccatis deprecamur, exaudiamur; non ut in eis perseuerantes licentiam malefaciendi nos per elemosynas conparare credamus. ideo autem dominus et dextris elemosynas ab eis factas et sinistris non factas se inputaturum esse praedixit, ut hinc ostenderet quantum ualeant elemosynae ad priora delenda, non ad perpetua inpune committenda peccata. tales autem elemosynas non dicendi sunt facere, qui uitam nolunt a consuetudine scelerum in melius commutare. quia et in hoc quod ait: quando uni ex minimis meis non fecistis, mihi non fecistis, ostendit eos non facere etiam quando se facere existimant. si enim Christiano esurienti panem tamquam Christiano darent, profecto sibi panem iustitiae, quod ipse Christus est, non negarent; quoniam deus, non cui detur, sed quo animo detur, adtendit. qui ergo Christum diligit in Christiano, hoc animo ei porrigit elemosynam, quo accedit ad Christum, non quo uult recedere inpunitus a Christo. tanto enim magis quisque deserit Christum, quanto magis diligit quod inprobat Christus. nam quid cuiquam prodest, quod baptizatur, si non iustificatur? nonne qui dixit: nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu, non intrabit in regnum dei, ipse etiam dixit: nisi abundauerit iustitia uestra super scribarum et Pharisaeorum, non intrabitis in regnum caelorum? cur illud timendo multi currunt baptizari, et hoc non timendo non multi curant iustificari? sicut ergo non fratri suo dicit: fatue, qui cum hoc dicit non ipse fraternitati, sed peccato eius infensus est - alioquin reus erit gehennae ignis - , ita e contrario, qui porrigit elemosynam Christiano, non Christiano porrigit, qui non in eo diligit Christum; non autem diligit Christum, qui iustificari recusat in Christo. et quemadmodum si quis praeoccupatus fuerit hoc delicto, ut fratri suo dicat: fatue, id est, non eius peccatum uolens auferre conuicietur iniuste, parum est illi ad hoc redimendum elemosynas facere, nisi etiam quod ibi sequitur remedium reconciliationis adiungat - ibi enim sequitur: si ergo offeres munus tuum ad altare et ibi recordatus fueris, quia frater tuus habet aliquid aduersum te, relinque ibi munus tuum ad altare et uade prius, reconciliari fratri tuo, et tunc ueniens offeres munus tuum - : ita parum est elemosynas quantaslibet facere pro quocumque scelere et in consuetudine scelerum permanere. oratio uero cottidiana, quam docuit ipse Iesus, unde et dominica nominatur, delet quidem cottidiana peccata, cum cottidie dicitur: dimitte nobis debita nostra, atque id quod sequitur non solum dicitur, sed etiam fit: sicut et nos dimittimus debitoribus nostris; sed quia fiunt peccata, ideo dicitur, non ut ideo fiant, quia dicitur. per hanc enim nobis uoluit saluator ostendere, quantumlibet iuste in huius uitae caligine atque infirmitate uiuamus, non nobis deesse peccata, pro quibus dimittendis debeamus orare et eis, qui in nos peccant, ut et nobis ignoscatur, ignoscere. non utique propterea dominus ait: si dimiseritis peccata hominibus, dimittet uobis et pater uester peccata uestra, ut de hac oratione confisi securi cottidiana scelera faceremus, uel potentia qua non timeremus hominum leges uel astutia qua ipsos homines falleremus; sed ut per illam disceremus non putare nos esse sine peccatis, etiamsi a criminibus essemus inmunes; sicut etiam legis ueteris sacerdotes hoc ipsum deus de sacrificiis admonuit, quae iussit eos primum pro suis, deinde pro populi offerre peccatis. nam et ipsa uerba tanti magistri et domini nostri uigilanter intuenda sunt. non enim ait: si dimiseritis peccata hominibus, et pater uester dimittet uobis qualiacumque peccata, sed ait: peccata uestra. cottidianam quippe orationem docebat et iustificatis utique discipulis loquebatur. quid est ergo: peccata uestra nisi peccata sine quibus nec uos eritis, qui iustificati et sanctificati estis? ubi ergo illi, qui per hanc orationem occasionem perpetrandorum cottidie scelerum quaerunt, dicunt dominum significasse etiam magna peccata, quoniam non dixit: dimittet uobis parua, sed peccata uestra: ibi nos considerantes qualibus loquebatur et audientes dictum peccata uestra nihil aliud debemus existimare quam parua, quoniam talium iam non erant magna. uerumtamen nec ipsa magna, a quibus omnino mutatis in melius moribus recedendum est, dimittuntur orantibus, nisi fiat quod ibi dicitur: sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. si enim minima peccata, sine quibus non est etiam uita iustorum, aliter non remittuntur, quanto magis multis et magnis criminibus inuoluti, etiamsi ea perpetrare iam desinant, nullam indulgentiam consequuntur, si ad remittendum aliis, quod in eis quisque peccauerit, inexorabiles fuerint, cum dicat dominus: si autem non dimiseritis hominibus, neque pater uester dimittet uobis. ad hoc enim ualet quod etiam Iacobus apostolus ait, iudicium futurum sine misericordia illi, qui non fecit misericordiam. uenire quippe debet in mentem etiam seruus ille, cui debitori dominus eius relaxauit decem milia talentorum, quae postea iussit ut redderet, quia ipse non misertus est conserui sui, qui ei debebat centum denarios. in his ergo, qui filii sunt promissionis et uasa misericordiae, ualet quod ait idem apostolus consequenter adiungens: superexsultat autem misericordia iudicio, quoniam et illi iusti, qui tanta sanctitate uixerunt, ut alios quoque recipiant in tabernacula aeterna, a quibus amici facti sunt de mammona iniquitatis, ut tales essent, misericordia liberati sunt ab eo, qui iustificat inpium, inputans mercedem secundum gratiam, non secundum debitum. in eorum quippe numero est apostolus, qui dicit: misericordiam consecutus sum, ut fidelis essem. illi autem, qui recipiuntur a talibus in tabernacula aeterna, fatendum est quod non sint his moribus praediti, ut eis liberandis sine suffragio sanctorum sua possit uita sufficere, ac per hoc multo amplius in eis superexsultat misericordia iudicio. nec tamen ideo putandus est quisquam sceleratissimus, nequaquam uita uel bona uel tolerabiliore mutatus, recipi in tabernacula aeterna, quoniam obsecutus est sanctis de mammona iniquitatis, id est de pecunia uel diuitiis, quae male fuerant adquisitae, aut etiamsi bene, non tamen ueris, sed quas iniquitas putat esse diuitias, quoniam nescit quae sint uerae deliciae, quibus illi abundant, qui et alios recipiunt in tabernacula aeterna. est itaque quidam uitae modus nec tam malae, ut his qui eam uiuunt nihil prosit ad capessendum regnum caelorum largitas elemosynarum, quibus etiam iustorum sustentatur inopia et fiunt amici qui in tabernacula aeterna suscipiant, nec tam bonae, ut ad tantam beatitudinem adipiscendam eis ipsa sufficiat, nisi eorum meritis, quos amicos fecerint, misericordiam consequantur. - mirari autem soleo etiam apud Vergilium reperiri istam domini sententiam, ubi ait: facite uobis amicos de mammona iniquitatis, ut et ipsi recipiant uos in tabernacula aeterna; cui est et illa simillima: qui recipit prophetam in nomine prophetae, mercedem prophetae accipiet; et qui recipit iustum in nomine iusti, mercedem iusti accipiet. nam cum Elysios campos poeta ille describeret, ubi putant habitare animas beatorum, non solum ibi posuit eos, qui propriis meritis ad illas sedes peruenire potuerunt, sed adiecit atque ait: quique sui memores alios fecere merendo, id est, qui promeruerunt alios eosque sui memores promerendo fecerunt; prorsus tamquam eis dicerent, quod frequentatur ore Christiano, cum se cuique sanctorum humilis quisque commendat et dicit: memor mei esto, atque id ut esse possit promerendo efficit. - sed quis iste sit modus, et quae sint ipsa peccata, quae ita inpediunt peruentionem ad regnum dei, ut tamen sanctorum amicorum meritis inpetrent indulgentiam, difficillimum est inuenire, periculosissimum definire. ego certe usque ad hoc tempus cum inde satagerem ad eorum indaginem peruenire non potui. et fortassis propterea latent, ne studium proficiendi ad omnia cauenda peccata pigrescat. quoniam si scirentur quae uel qualia sint delicta, pro quibus etiam permanentibus nec prouectu uitae melioris absumptis intercessio sit inquirenda et speranda iustorum, eis secura se obuolueret humana segnitia, nec euolui talibus inplicamentis ullius uirtutis expeditione curaret, sed tantummodo quaereret aliorum meritis liberari, quos amicos sibi de mammona iniquitatis elemosynarum largitate fecisset. nunc uero dum uenialis iniquitatis, etiamsi perseueret, ignoratur modus, profecto et studium in meliora proficiendi orando et instando uigilantius adhibetur et faciendi de mammona iniquitatis sanctos amicos cura non spernitur. uerum ista liberatio, quae fit siue suis quibusque orationibus siue intercedentibus sanctis, id agit ut in ignem quisque non mittatur aeternum, non ut, cum fuerit missus, post quantumcumque inde tempus eruatur. nam et illi, qui putant sic intellegendum esse quod scriptum est, adferre terram bonam uberem fructum, aliam tricenum, aliam sexagenum, aliam centenum, ut sancti pro suorum diuersitate meritorum alii tricenos homines liberent, alii sexagenos, alii centenos, hoc in die iudicii futurum suspicari solent, non post iudicium. qua opinione quidam cum uideret homines inpunitatem sibi peruersissime pollicentes, eo quod omnes isto modo ad liberationem pertinere posse uideantur, elegantissime respondisse perhibetur, bene potius esse uiuendum, ut inter eos quisque reperiatur, qui pro aliis intercessuri sunt liberandis, ne tam pauci sint, ut cito ad numerum suum uel tricenum uel sexagenum uel centenum unoquoque eorum perueniente multi remaneant, qui erui iam de poenis illorum intercessione non possint et in eis inueniatur quisquis sibi spem fructus alieni temeritate uanissima pollicetur. haec me illis respondisse suffecerit, qui sacrarum litterarum, quas communes habemus, auctoritatem non spernunt, sed eas male intellegendo non quod illae loquuntur, sed hoc potius putant futurum esse quod ipsi uolunt. hac itaque responsione reddita librum, sicut promisimus, terminamus.