CHAPITRE XVI.
LE PSAUME QUARANTE-QUATRE EST UNE PROPHÉTIE, TANTÔT EXPRESSIVE ET TANTÔT FIGURÉE, DE JÉSUS-CHRIST ET DE SON ÉGLISE.
Quelles que soient, en toutes choses, la propriété et la clarté des expressions prophétiques , il faut aussi qu’il y en ait de figurées, et ce sont celles-là qui donnent de l’exercice aux savants, quand ils veulent les expliquer à des esprits moins ouverts. Il en est toutefois qui désignent, à la première vue, le Sauveur et son Eglise, quoiqu’il y reste toujours quelque chose d’obscur qui demande à être expliqué à loisir; par exemple, ce passage du psaume quarante-quatre: « Mon coeur me presse de dire de grandes choses; je veux consacrer mes ouvrages à la gloire de mon Roi. Ma langue est comme la plume d’un écrivain qui écrit très-vite. Vous êtes le plus beau des enfants des hommes; les grâces sont répandues sur vos lèvres; c’est pourquoi Dieu vous a comblé de ses (379) bénédictions pour jamais. Très-puissant, ceignez votre épée. Beau et gracieux comme vous l’êtes, vous ne sauriez manquer de réussir dans vos entreprises et de vous rendre maître des coeurs. La vérité, la douceur et la justice accompagnent vos pas, et vous signalerez votre puissance par des actions miraculeuses. Dieu tout-puissant, que vos flèches sont aigües ! vous en percerez le coeur de vos ennemis, et les peuples tomberont à vos pieds. Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité; aussi votre Dieu a rempli votre coeur de joie comme d’un heaume exquis, dont il vous a sacré avec plus d’abondance que tous vos compagnons. Vos vêtements sont imprégnés de myrrhe et d’aloès; des essences de parfum s’exhalent de vos palais d’ivoire, et c’est ce qui vous a gagné le coeur des jeunes filles au jour de votre triomphe ». Quel est l’esprit assez grossier pour ne pas reconnaître dans ces paroles le Christ que nous prêchons et en qui nous croyons? Qui ne le voit désigné par ce Dieu dont le trône est éternel, et que Dieu sacre en Dieu , c’est-à-dire d’un chrême spirituel et invisible?Est-il un homme assez étranger à notre religion et assez sourd au bruit qu’elle fait de toutes parts pour ignorer que le Christ s’appelle ainsi de son sacre et de son onction? Or, ce roi une fois reconnu, que signifient les autres traits de cette peinture symbolique, par exemple, qu’il est le plus beau des enfants des hommes, d’une beauté sans doute d’autant plus digne d’amour et d’admiration qu’elle est moins corporelle ? Que veut dire cette épée , et que sont ces flèches ? c’est à quiconque sert ce Dieu et règne par la vérité, la douceur et la justice, à examiner ces questions à loisir. Jetez ensuite les yeux sur son Eglise, sur cette compagne unie à un si grand époux par un mariage spirituel et par les liens d’un amour divin, elle, dont il est dit peu après : « La reine s’est assise à votre droite avec un habit rehaussé d’or et de broderie. Ecoutez, ma fille, voyez et prêtez l’oreille; oubliez votre pays et la maison de votre père; car le roi a été pris d’amour pour votre beauté, et il est le Seigneur votre Dieu. Les habitants de Tyr l’adoreront avec des présents; les plus riches du peuple vous feront la cour. Toute la gloire de la fille du roi vient du dedans, et elle est vêtue d’une robe à franges d’or, toute couverte de broderies. On amènera au roi les filles de sa suite; on vous offrira celles qui approchent de plus près de sa personne. On les amènera avec joie et allégresse; on les fera entrer dans le palais du roi. Il vous est né des enfants à la place de vos pères; vous les établirez princes sur tout l’univers. Ils se souviendront de votre nom, Seigneur, dans la suite de tous les âges. C’est pourquoi tous les peuples vous loueront éternellement et dans tous les siècles ». Je ne pense pas que quelqu’un soit assez fou pour s’imaginer que ceci doit s’entendre d’une simple femme, puisque cette femme est l’épouse de celui à qui il est dit: « Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; aussi votre Dieu a rempli votre coeur de joie comme d’un beaume exquis, dont il vous a sacré avec plus d’abondance que tous vos compagnons. » C’est Jésus-Christ qui a été ainsi sacré d’une onction plus pleine que tout le reste des chrétiens ; et ceux-là sont les compagnons de sa gloire, dont l’union et la concorde par tout l’univers sont figurées par cette reine appelée dans un autre psaume la cité du grand roi1. Voilà cette spirituelle Sion dont le nom signifie contemplation, parce qu’elle contemple les grands biens de l’autre vie et y tourne toutes ses pensées ; voilà cette Jérusalem céleste dont nous avons dit tant de choses, et qui a pour ennemie la cité du diable, Babylone, c’est-à-dire confusion. C’est par la régénération que cette reine est délivrée de la domination de Babylone, et passe de la domination d’un très-méchant prince sous celle d’un très-bon roi. On lui dit pour cette raison : « Oubliez votre pays et la maison de votre père ». Les Israélites, qui ne sont tels que selon la chair et non par la foi, font partie de cette cité impie, et sont ennemis du grand roi et de la reine, son épouse. Car, puisqu’ils ont mis à mort celui qui était venu vers eux, le Christ a été plutôt le sauveur de ceux qu’il n’a pas vus, alors qu’il était sur la terre revêtu d’une chair mortelle. Aussi dit-on à notre roi dans un psaume : « Vous me délivrerez des révoltes de ce peuple, vous m’établirez chef des nations. Un peuple que je ne connaissais point m’a servi; il m’a obéi aussitôt qu’il a entendu parier de moi2 » Le peuple des Gentils que le Christ n’a pas connu lorsqu’il était au monde, et qui néanmoins croit en lui sur ce qu’il a appris, en sorte que c’est justement qu’il est écrit de lui : « Il m’a obéi aussitôt qu’il a entendu parler de moi » ; car « la loi vient de l’ouïe3 » ce peuple, dis-je, joint aux vrais Israélites selon la chair et selon la foi, compose la cité de Dieu, qui a aussi engendré le Christ selon la chair, quand elle n’était qu’en ces seuls Israélites. De là était la vierge Marie, dans le sein de laquelle le Christ a pris chair pour devenir homme. C’est de cette cité qu’un autre psaume dit: « On dira de Sion, notre mère: Un. homme et un homme par excellence a été fait en elle, et c’est le Très-Haut lui-même qui l’a fondé4 ». Quel est ce Très-Haut, sinon Dieu? Et par conséquent le Christ, qui est Dieu et qui l’était avant que de devenir homme dans cette cité par l’entremise de Marle, l’a fondée lui-même dans les patriarches et dans les Prophètes. Puis donc que le Sauveur a été prédit si longtemps auparavant à cette cité de Dieu, à cette reine, suivant cette parole que nous voyons maintenant accomplie : « Il vous est né des enfants à la place de vos pères, que vous établirez princes sur tout l’univers5 » quelque obscurité qu’il y ait ici dans les autres expressions figurées, et de quelque façon qu’on les explique, elles doivent s’accorder avec des choses qui soit si claires.
