27.
Voici maintenant une chose dont j'espère te persuader plus facilement. Quand il s'agit de la religion, c'est-à-dire du culte et de l'intelligence de la divinité, il ne faut pas suivre ceux qui nous défendent de croire en nous promettant si facilement la raison de tout. Personne n'ignore que parmi les hommes il n'y a que des insensés et des sages. J'appelle sages non pas ceux qui sont ingénieux et habiles, mais ceux qui ont, autant qu'il soit possible à l'homme, une connaissance sûre et nette de l'homme lui-même et de Dieu, et dont la vie et les moeurs sont conformes à cette connaissance ; tous les autres, au contraire, quelle que soit leur manière de vivre, active ou désoeuvrée, estimable ou blâmable, je les mets au rang des insensés. Les choses étant ainsi, quel homme est assez peu intelligent pour ne pas voir clairement qu'il est plus utile pour les insensés et plus salutaire de se conformer aux préceptes des sages, que de vivre selon leurs propres lumières? Car toute action qui n'est pas bonne est un péché, et il est impossible que ce qui ne vient pas de la droite raison, soit bien. Or la droite raison, c'est la vertu même. Et dans quel homme trouvera-t-on la vertu, si elle n'est pas dans l'âme du sage ? Ainsi donc le sage seul ne pèche pas. Par suite tout insensé pèche, si ce n'est dans les actes où il obéit au sage; car les actes de ce genre viennent de la droite raison, et l'insensé ne doit pas être considéré comme le maître de son action, si je puis parler ainsi, quand il est comme l'instrument et le serviteur du sage. Par conséquent, si pour tous les hommes il vaut mieux ne pas pécher que pécher; tous les insensés assurément vivraient mieux, s'ils pouvaient être les serviteurs des sages. Si ce point est sans contredit d'une grande utilité quand il s'agit de choses moins importantes , comme d'acheter ou cultiver un champ , de se marier, d'avoir et d'élever des enfants , enfin d'administrer sa fortune , combien n'est-il pas plus utile quand il s'agit de la religion? Car les choses humaines sont plus faciles à connaître que les choses divines, et dans toutes celles qui ont un caractère plus prononcé de sainteté et de grandeur, le péché est d'autant plus criminel et plus à craindre que nous devons avoir pour ces choses plus de déférence et de respect. Tu vois donc immédiatement que, tant que nous sommes insensés, si nous avons à coeur de mener une vie pure et religieuse, il ne nous reste qu'une chose à faire, chercher des sages dont les conseils puissent nous servir à sentir vivement le joug de notre folie, pendant qu'il pèse sur nous, et à nous en débarrasser un jour.
