CHAPITRE XI. DIEU SE VENGE DE L'IDOLATRIE.
Nous lisons dans l'Exode : «Vous n'adorerez pas des dieux étrangers »; et ailleurs: « Votre Dieu sera appelé un Dieu jaloux, car il est jaloux d'une grande jalousie1 ». En s'indignant contre cette parole : « Vous n'adorerez a pas des dieux étrangers », les Manichéens prouvent assez clairement qu'ils ont réellement un faible pour la pluralité des dieux. Pourquoi s'en étonner, quand on les voit dans leur secte énumérer avec complaisance les membres nombreux de la grande famille des dieux? N'en sont-ils pas arrivés au culte et à l'adoration des choses visibles qu'ils ont substituées à la souveraine vérité? Voilà pourquoi ils repoussent avec indignation cette parole de l'Exode : « Vous n'adorerez pas des dieux étrangers ». Et dans cette parole ils trouvent la raison de celles-ci : « Votre Dieu est appelé un Dieu jaloux, car il est jaloux d'une grande jalousie ». Comment donc aimerions-nous un Dieu jaloux, à qui la jalousie seule inspire de nous défendre d'adorer des dieux étrangers? Ils trouvent ainsi dans ces paroles une contradiction formelle avec ce passage de l'Evangile : « Père juste, le monde ne vous connaît pas2 ». Comme si Dieu ne pouvait être juste qu'autant qu'il veut bien nous permettre d'adorer des dieux étrangers. Ils soutiennent donc qu'un Dieu juste et un Dieu jaloux, ce sont là deux choses absolument inconciliables; et avec ce raisonnement ils trompent une foule de malheureux qui ne comprennent pas que toute espérance de salut pour nous, ne nous peut venir que de cette jalousie même de Dieu. En effet, cette expression ne nous révèle autre chose que la divine Providence qui ne peut souffrir qu'une âme se livre impunément à la fornication de l'impiété, selon cette parole du Prophète : « Vous perdrez tous ceux qui se rendent coupables de fornication contre vous3 ». De même que cette expression: La colère de Dieu, signifie non pas le trouble de l'âme, mais le pouvoir de tirer vengeance du mal; de même la jalousie en Dieu n'est nullement ce cruel tourment qu'un époux éprouve à l'égard de son épouse ou une épouse à l'égard de son époux, mais uniquement cette calme et absolue justice qui éloigne le bonheur de toute âme qui se laisse corrompre par des opinions fausses et criminelles. Comment n'auraient-ils pas horreur de ces paroles, eux qui ne voient aucune parole qui puisse s'appliquer dignement à l'ineffable majesté de Dieu ? A leurs yeux ce que l'on peut faire de plus honorable pour Dieu, c'est de garder à son sujet le plus profond silence. Le Saint-Esprit lui-même, pour donner aux hommes une idée de l'infinie, majesté de Dieu, n'a pas hésité à employer ces expressions qui, chez les hommes, sont l'indice du vice, afin de nous faire comprendre que tout ce -que nous pouvons dire de plus digne de Dieu, est toujours une offense réelle à sa majesté infinie, d'où il suit que le silence est la seule manière de l'honorer. Si j'examine la jalousie dans l'homme, je trouve qu'elle produit une perturbation qui déchire le cœur. Et cependant quand je recherche la cause de cette impression, je la trouve dans l'horreur qu'inspire à un époux l'adultère de son épouse; voilà pourquoi la jalousie se rencontre surtout dans le mariage. Supposons maintenant que le mari soit heureux par lui-même, tout-puissant et juste, il pourrait punir le péché de son épouse, sans aucun tourment de sa part, avec une entière facilité et sans commettre aucune injustice. Et cependant si nous voulions exprimer, cette action dans un langage humain, tout insuffisant qu'il est, le mot jalousie serait le seul qui pourrait rendre notre pensée. Reproche-t-on à Cicéron, qui cependant savait parler latin, cette parole qu'il adresse à César : « Parmi vos vertus, la plus admirable, la plus belle, c'est votre miséricorde4 ? » 5 Et cependant le mot miséricorde signifie un cœur que la misère d'autrui rend malheureux. — En conclura-t-on que la vertu rend le coeur malheureux ? Cicéron ne pourrait-il pas répondre à ses accusateurs que sous le nom de miséricorde, il a voulu exprimer la clémence? Il suffit donc, pour la correction du langage, de se servir des expressions qui se rapprochent du sens propre. J'en ai cherché une preuve dans Cicéron, parce que toute la difficulté actuelle est une pure question de mots. Les écrivains sacrés se sont, avant tout, préoccupés de l'idée, tandis que les auteurs profanes s'attachent de préférence à la qualité des termes. J'ouvre donc l'Evangile et tous les livres du Nouveau Testament; et partout ils exaltent la miséricorde de Dieu. Pourquoi ces misérables Manichéens ne soutiennent-ils pas que la miséricorde ne peut s'appliquer à Dieu, puisque son coeur ne saurait être malheureux? De même donc que la miséricorde en Dieu n'implique pas nécessairement que son coeur soit malheureux, de même Dieu peut être jaloux sans ressentir aucun des effets que cette émotion produit dans l'homme; et pour parvenir au silence divin nous subissons facilement les conditions du langage humain. Soutiendront-ils que la jalousie et la justice sont incompatibles, même en Dieu? Alors qu'ils m'expliquent ces paroles du Nouveau Testament: « Je vous jalouse de la jalousie de Dieu6 », ou bien cette expression empruntée par l'Evangile aux anciens : « Le zèle de votre maison me dévores ? » Qu'ils lisent aussi ces paroles de l'Ancien Testament: « Dieu est juste, il a aimé la justice, sa face a vu l'équité7 », et qu'ils jugent eux-mêmes de quel droit ils prônent si haut l'incompatibilité des deux Testaments, quand dans le Nouveau nous trouvons formulée la jalousie de Dieu, et dans l'Ancien sa justice? Pour tout homme sensé, au contraire, l'unité la plus parfaite, l'accord le plus complet prouvent, dans les saintes Ecritures, l'action unique et toute-puissante du Saint-Esprit.
