CHAPITRE XIV. UN PAÏEN POURRAIT RETOURNER CONTRE LE NOUVEAU TESTAMENT LES OBJECTIONS QUE FAUSTE FAIT CONTRE L'ANCIEN.
Un païen impie pourrait certainement calomnier et critiquer le Christ dans l'Evangile, comme Fauste l'a fait pour Dieu dans l'Ancien Testament. Il pourrait, en effet, accuser le Christ d'imprévoyance, non-seulement pour avoir admiré la foi du centurion, mais aussi pour avoir choisi entre ses disciples Judas, qui ne devait point observer ses commandements[^1] : comme Fauste blâme Dieu d'avoir donné à l'homme dans le paradis un précepte que celui-ci ne devait point garder[^2]. Le païen pourrait encore ajouter que le Christ n'a pas su deviner qui l'avait touché, quand la femme affligée d'un flux de sang toucha le bord de son vêtement, comme Fauste accuse Dieu de n'avoir pas su où se cachait Adam. Il me semble que Dieu a dit : « Adam, où es-tu[^3]? » comme le Christ a dit : « Qui m'a touché[^4]? » Le païen appellerait également le Christ envieux et dirait que lui aussi a eu peur que si les cinq vierges folles entraient dans son royaume, elles ne vécussent éternellement, puisqu'il leur ferma si sévèrement la porte qu'il n'ouvrit pas même quand elles frappaient[^5], comme s'il eût oublié cette promesse faite par lui : « Frappez, et on vous ouvrira[^6] »; absolument comme Fauste accuse Dieu de jalousie et de crainte, parce qu'il n'a point admis le pécheur à la vie éternelle. Il l'accuserait aussi d'être avide, non du sang des animaux, mais de celui de l'homme, puisqu'il a dit : « Quiconque aura perdu son âme à cause de moi, la retrouvera pour la vie éternelle[^7]», comme il a plu à Fauste de calomnier Dieu à l'occasion des sacrifices qui promettaient, en figure, le sacrifice du sang qui nous a rachetés. Il blâmerait aussi le zèle du Sauveur, parce que l'Evangéliste, à l'occasion de la circonstance où il chassa du temple à coups de fouet les acheteurs et les vendeurs, rappelle que c'est de lui qu'il a été écrit : « Le zèle de votre maison me dévore[^8] » ; comme Fauste blâme le zèle que Dieu mettait à défendre qu'on offrit des sacrifices à d'autres qu'à lui. Il dirait que le Christ s'est irrité contre les siens et contre les étrangers : contre les siens, puisqu'il a dit : « Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et ne fait pas ce qu'il doit faire, recevra un grand nombre de coups[^9] »; contre les étrangers, puisqu'il a dit : « Lorsque quelqu'un ne vous recevra point, secouez sur lui la poussière de vos chaussures; en vérité, je vous le dis : il y aura moins à souffrir pour Sodome au jour du jugement que pour cette ville[^10] »; comme Fauste accuse Dieu de se fâcher, tantôt contre les étrangers, tantôt contre les siens : ce que l'Apôtre confirme des uns et des autres, en disant : « Car tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi; et tous ceux qui ont péché dans la loi, seront jugés par la loi[^11] ». Le païen accuserait encore le Christ d'être meurtrier, de répandre le sang d'un grand nombre pour des fautes légères ou nulles: car ce serait pour lui une faute légère ou nulle d'être entré dans la salle du festin sans la robe nuptiale (et cependant, pour cela, notre roi, d'après l'Evangile, fait jeter un homme, pieds et poings liés, dans les ténèbres extérieures[^12]) ; ou de ne pas reconnaître le Christ pour roi, péché dont il est dit : « Et pour ceux qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux, amenez-les et tuez-les devant moi[^13] » ; de même que Fauste accuse Dieu dans l'Ancien Testament, et trouve qu'il a tué des milliers d'hommes pour des fautes légères ou nulles. Quant au reproche que ce même Fauste fait à Dieu d'avoir menacé de venir, le glaive à la main, et de n'épargner ni juste ni pécheur, comment le païen ne le ferait-il pas en entendant Paul dire : « Parce qu'il n'a pas épargné son Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous[^14] »; en entendant Pierre parler des grandes tribulations et du meurtre des saints, et dire, pour nous exhorter à souffrir : « Voici le temps où doit commencer le jugement par la maison de Dieu ; et s'il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient pas à l'Evangile du Seigneur ? Et si le juste est à peine sauvé, l'impie et le pécheur, où se présenteront-ils[^15] ? » Car quoi de plus juste que le Fils unique ? Et cependant le Seigneur ne l'a point épargné. Et que Dieu n'épargne point les justes, mais les purifie par diverses tribulations, est-il rien de plus évident, puisqu'il est dit ouvertement : « Et si le juste est à peine sauvé? » Car on ne lit pas seulement dans l'Ancien Testament : « Dieu corrige celui qu'il aime et il châtie l'enfant qu'il reçoit[^16] »; et encore : « Si nous avons reçu les « biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux[^17]? » mais on lit aussi dans le Nouveau : « Pour moi, je reprends et je châtie celui que j'aime[^18] » ; et ailleurs : « Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés par le « Seigneur; et lorsque nous sommes jugés, « c'est par le Seigneur que nous sommes re« pris, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde[^19] ». Et cependant, si le païen blâmait dans le Nouveau Testament ce que les Manichéens blâment dans l'Ancien, ceux-ci n'en prendraient-ils pas la défense? Et s'ils en venaient à bout, pourquoi critiquer d'un côté ce qu'ils défendraient de l'autre? Et s'ils n'en pouvaient venir à bout, pourquoi ne pas permettre, pour l'un comme pour l'autre Testament, que ce que les impies y trouvent de mauvais sans le comprendre, les hommes pieux, sans le comprendre davantage, le trouvent bon quoique mystérieux?
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Jean, V, 71.
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Gen. II, 16, 17, III, 6 .
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Gen. III, 9.
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Luc VIII, 44, 45.
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Matt. XXV, 11, 12.
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Ibid. VII, 7.
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Id. X, 29.
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Jean, II, 15, 17.
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Matt. X, 14, 15.
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Ibid.
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Rom. II, 12.
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Matt. XXII, 11-13.
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Luc, XIX, 27.
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Rom. VIII, 32.
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I Pier. IV, 17, 18.
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Prov. III, 12.
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Job, II, 10.
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Apoc. III, 19.
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I Cor. XI, 31, 32.