CHAPITRE IV. LE SABBAT DES JUIFS.
Quant au repos du sabbat, depuis que nous a été donnée l'espérance de notre éternel repos, nous en regardons l'observation comme désormais inutile, mais non la connaissance et l'intelligence. Dans les temps prophétiques, les mystères qui nous sont maintenant dévoilés, devaient être figurés et annoncés non-seulement par la parole, mais aussi par des actions: ce signe du sabbat que nous trouvons dans l'Ecriture, était la figure de la réalité dont nous sommes en possession. Mais vous, dites-moi, pourquoi n'observez-vous pas intégralement votre repos ? Pendant leur sabbat, auquel ils n'attachent toujours qu'un sens charnel, les Juifs, non-seulement ne cueillent pas un seul fruit dans les champs, mais même n'en découpent ou n'en font cuire aucun à la maison. Mais vous, vous attendez, dans votre repos, que l'un de vos auditeurs se chargeant de pourvoir à vos repas, s'élance dans un jardin, armé du couteau ou de la faucille, et d'une main meurtrière abatte les citrouilles, vous en apporte, ô prodige ! les cadavres vivants. S'il n'y a pas là un meurtre, pourquoi craindre de le faire vous-mêmes ? Et si cueillir ces fruits, c'est leur donner la mort, comment se trouve encore en eux cette vie que vous prétendez purifier et régénérer parla manducation et la digestion? Vous recevez donc les citrouilles toutes vivantes, et vous devriez, s'il était possible, les avaler en cet état; du moins après la seule blessure qu'elles ont reçue de la main de votre auditeur quand il les a cueillies, se rendant ainsi coupable d'une faute dont votre indulgence doit le décharger, parviendraient-elles saines et entières jusqu'à l'atelier de vos entrailles, où vous pourriez reformer votre Dieu brisé dans cette attaque? Mais non; avant de les broyer sous vos dents, vous les découpez en mille parcelles, si votre goût vous y porte : comment, après ces innombrables blessures, ne pas vous croire coupables? Voyez comme il vous serait avantageux de faire chaque jour ce que les Juifs observent un jour sur sept, et de vous abstenir de toute oeuvre de ce genre. Maintenant que n'ont pas à souffrir les citrouilles sur le feu, où certainement la vie qui est en elles est loin d'être régénérée? Peut-on comparer une marmite bouillonnante à de saintes entrailles ? Et cependant vous ne parlez qu'avec dérision du repos du sabbat comme superflu. Assurément il serait plus sensé de votre part, non-seulement de ne pas le blâmer dans nos pères, alors qu'il avait sa raison d'être, mais même de l'observer aujourd'hui qu'il est devenu superflu, de préférence à votre repos encore plus condamnable par l'erreur qu'il renferme, qu'absurde par sa signification. Selon votre vaine croyance, vous êtes coupables, si vous violez votre repos, et si vous l'observez, vous n'en devenez véritablement que plus vains. Car vous dites qu'un fruit éprouve le sentiment de la douleur quand il est détaché de l'arbre, découpé, broyé, cuit et mangé. Vous ne devriez donc vous nourrir que de ceux qui peuvent s'avaler crus et intacts, afin qu'ils n'aient à souffrir qu'une seule fois, quand ils sont cueillis, non par vous, mais par vos auditeurs.
Mais, dites-vous, qu'est-ce faire pour la délivrance de la vie divine, s'il faut nous restreindre aux fruits crus et tendres qui peuvent se manger ainsi ? Si, en vue d'un résultat si précieux, vous faites passer vos aliments par des souffrances si multipliées, pourquoi vous abstenir de leur causer la seule douleur qui est la première conséquence nécessaire de la fin que vous vous proposez? Un fruit peut se manger dans sa crudité, comme plusieurs d'entre vous se sont exercés à le faire, non-seulement pour les fruits, mais encore pour toutes sortes de légumes. Mais si ce fruit n'est cueilli ou ne tombe, si de quelque manière il n'est extrait de la terre ou détaché de l'arbre, il ne peut devenir un aliment. Cet acte, sans lequel vous ne pourriez lui porter secours, n'est-il pas une faute bien légère ? En est-il de même de ces nombreuses tortures que vous ne craignez pas d'infliger aux membres de votre Dieu, dans la préparation de vos aliments? L'arbre pleure, osez-vous dire sans rougir, quand on cueille son fruit. Certes la vie qui y réside connaît tout ; elle pressent quel est celui qui vient à elle. Et quand arrivent vos élus et qu'ils cueillent ses fruits, loin de pleurer, il doit se réjouir, trouvant ainsi un bonheur ineffable à côté d'une douleur passagère, et échappant à un grand malheur, s'il fût tombé entre des mains étrangères. Pourquoi donc ne détachez-vous pas ce fruit quand, une fois cueilli, vous lui infligez tant de plaies et de tortures? Répondez, si vous le pouvez. D'un autre côté, le jeûne lui-même est pour vous une contradiction : il ne faut pas que soit suspendue l'activité de la fournaise où l'or spirituel se dégage du mélange impur de l'ordure, et où les membres divins voient se briser leurs misérables liens. Aussi celui-là se distingue parmi vous par la commisération, qui a pu s'accoutumer, sans préjudice pour sa santé, à prendre et à consommer la plus grande quantité d'aliments crus. Toutefois vous êtes cruels quand vous mangez, en faisant subir de si vives douleurs à vos aliments; cruels encore quand vous jeûnez, puisque vous cessez de travailler à la purification des membres divins.