CHAPITRE PREMIER. QUEL EST, D'APRÈS FAUSTE, L'HOMME QUE DIEU CRÉE EN NOUS. DIEU N'EST PAS L'AUTEUR DE NOTRE CORPS.
Fauste. Pourquoi niez-vous que l'homme soit créé de Dieu? — Nous ne nions pas absolument que l'homme soit créé de Dieu; nous demandons seulement quelle espèce d'homme, quand et comment il est créé. En effet, selon l'Apôtre, il y en a deux : l'un qu'il appelle parfois extérieur, plus souvent terrestre, ou encore vieil homme; l'autre qu'il appelle intérieur, céleste, nouveau[^1]. Nous demandons lequel de ces deux hommes est l'oeuvre de Dieu. Il y a aussi dans notre naissance deux époques : l'une, quand nous sommes enchaînés dans les liens de la chair et que la nature nous met au jour; l'autre, quand la vérité nous arrache à l'erreur et nous régénère, en nous initiant à la foi. C'est cette seconde naissance que Jésus désigne dans l'Evangile, quand il dit: « Si quelqu'un ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu ». Et comme Nicodème, comprenant mal et hésitant, demandait comment cela pouvait se faire, puisque le vieillard ne peut pas rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois, Jésus lui répondit et lui dit : « Si quelqu'un ne naît pas de l'eau et de l'Esprit-Saint, il ne peut voir le royaume de Dieu ». Puis il continue: « Ce qui naît de la chair est chair, et ce qui naît de l'Esprit est esprit[^2] ». Si donc notre naissance corporelle n'est pas la seule, mais qu'il y en ait une autre par laquelle nous renaissons de l'Esprit, il n'est pas d'un médiocre intérêt de chercher de laquelle des deux Dieu est l'auteur. Il y a également deux manières de naître: l'une propre à la passion et à l'incontinence, par laquelle nous sommes engendrés d'une manière honteuse par des esclaves de la volupté; l'autre honnête et sainte, par laquelle nous sommes initiés à la foi, dans le Christ Jésus, par l'Esprit-Saint, sous l'enseignement des hommes de bien : ce qui fait que toute religion, et surtout la chrétienne, appelle au sacrement dès la première enfance. Tel est le sens de ces paroles de l'Apôtre : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous[^3] ». Ainsi donc, il ne s'agit plus de savoir si Dieu fait l'homme; mais quand, quel et comment il le fait; car si Dieu nous fait à son image quand nous sommes formés dans le sein maternel, suivant l'opinion des Gentils, des Juifs et la vôtre, alors il nous fait vieil homme, il nous crée par le moyen de la passion et de la volupté, et je ne sais si cela est digne de sa divinité. Mais si, au contraire, nous sommes formés de Dieu quand nous croyons et que nous passons à un meilleur état de vie, ce qui est l'opinion du Christ, des Apôtres et la nôtre, alors Dieu nous fait évidemment hommes nouveaux, et il agit d'une manière convenable et pure : et quoi de plus raisonnable, et qui s'accorde mieux avec sa sainte et vénérable Majesté? Si vous ne dédaignez pas l'autorité de Paul, nous vous montrerons par lui quel est l'homme que Dieu fait, quand et comment il le fait. Il dit aux Ephésiens : « Afin que vous dépouilliez, par rapport à votre première vie, le vieil homme qui se corrompt par les désirs de l'erreur; renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme, et revêtez-vous de l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité[^4]». Tu vois donc quand l'homme est créé à l'image de Dieu; tu vois qu'on nous montre ici un autre homme, une autre naissance, une autre manière de naître. Car, quand l'Apôtre dit : Dépouillez-vous et revêtez-vous, il indique évidemment le moment de la conversion à la foi ; et quand il atteste que Dieu crée un nouvel homme, il affirme par là même que le vieil homme ne vient pas de Dieu, n'est pas formé à son image. Et quand il continue en disant que l'homme nouveau est créé dans la sainteté, la justice et la vérité, il indique, il signale par là l'autre espèce de naissance dont j'ai parié, très-différente de celle-ci qui a produit nos corps par l'union voluptueuse de nos parents; et en faisant voir que l'autre vient seule de Dieu, il démontre par le fait que celle-ci n'en vient pas. Il répète encore la même chose aux Colossiens : « Dépouillez le vieil homme avec ses œuvres, et revêtez le nouveau qui se renouvelle dans la connaissance de Dieu, selon l'image de celui qui l'a créé en vous ». Par là, non-seulement il nous montre que c'est l'homme nouveau que Dieu crée; mais encore il nous indique quand et de quelle manière il le forme, c'est-à-dire : « Dans la connaissance de Dieu », autrement : dans le moment de la conversion à la foi. Il ajoute encore : « Selon l'image du Dieu qui l'a créé », pour nous faire voir clairement que le vieil homme n'est point l'image de Dieu et n'a point été formé par lui. Et quand il ajoute ensuite : « Renouvellement où il n'y a plus ni homme ni femme, ni Juif, ni Grec, ni barbare ni Scythe[^5] », il indique de plus en plus visiblement que l'autre naissance qui nous fait hommes et femmes, Grecs et Juifs, Scythes et barbares, n'est pas celle où Dieu opère, celle où il forme l'homme; mais bien celle-ci qui efface toute différence de nation, de sexe et de condition et fait de nous une seule chose, à l'exemple de celui qui est un, c'est-à-dire le Christ ; comme le même Apôtre le répète encore ailleurs, quand il dit : « Tous ceux qui ont été baptisés dans le Christ, ont été revêtus du Christ; il n'y a plus ni juif ni Grec; plus d'homme, ni de femme; plus d'esclave ni de libre; mais tous sont une seule chose dans le Christ[^6] ». Donc, l'homme est formé de Dieu quand, de beaucoup, il devient un, et non quand d'un, il se divise en beaucoup. Or, la première naissance, c'est-à-dire la naissance corporelle, nous a divisés; la seconde, celle qui est spirituelle et divine, nous unit; et nous avons toute raison d'attribuer l'une à la nature du corps, et l'autre à la suprême majesté. C'est ce qui fait encore dire à l'Apôtre, écrivant aux Corinthiens : « C'est moi qui par l'Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus[^7] » ; et aux Galates, en parlant de lui-même : « Mais lorsqu'il plut à celui qui m'a choisi dans le sein de ma mère, de me révéler son Fils pour que je l'annonçasse parmi les nations, aussitôt, sans acquiescer à la chair et au sang[^8]... » Tu le vois donc partout affirmer que c'est dans l'autre naissance, dans la naissance spirituelle seulement, que nous sommes formés par Dieu; et non dans cette première naissance obscène, dégoûtante, par laquelle nous sommes conçus, formés et engendrés dans le sein maternel, d'une manière aussi ignoble, aussi impure que les autres animaux. Si vous voulez y faire attention, vous remarquerez que, là-dessus, nous ne différons pas tant de vous par le symbole que par le sens que nous y attachons. Il vous plaît d'attribuer à Dieu la formation du vieil homme, de l'homme extérieur et terrestre : nous lui attribuons au contraire celle de l'homme céleste, intérieur et nouveau; non sans raison et par conjecture, mais d'après les leçons du Christ et de ses Apôtres, qui ont évidemment enseigné les premiers cette doctrine dans le monde.
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Rom. VI, VII ; I Cor. XV; Eph. III, IV; Col. III.
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Jean, III, 3, 6.
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Gal. IV, 19.
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Eph. IV, 22, 23, 24.
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Col. III, 9, 11.
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Gal. III, 27, 28.
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I Cor. IV, 15.
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Gal. I, 15,16.